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UNIVERSITY «F TORONTO
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KATHLEEN MADILL BEQIIEST
Deux Années en Ukraine
Charles DUBREUIL
Deux Années en Ukraine
(1917-1919)
aVec une Carte de V Ukraine
PARIS
IIkmiy PATLIN, KclitiMir
.'5, Hue (le Rivoli. 3
r.»i9
'^Of
FEB 1 5 1967
AVANT- PROPOS
De tous les lambeaux arrachés à l'Empire des Tsars,
l'Ukraine est, sans contredit, de beaucoup le plus pré-
cieux. On comprend, dès lors, que ses maîtres d'autre-
fois et ses adversaires d'aujourd'hui unissent leurs
efforts, luttent de toute leur énergie, contre le mouve-
ment national qui pousse le peuple ukrainien à vivre
désormais libre et indépendant.
Cette lutte, violente sur le territoire de l'Ukraine où
le peuple tout entier, hommes, femmes et enfants doit
soutenir des combats acharnés, se livre en France,
surtout à Paris, sous forme d'articles de journaux,
d'informations tendancieuses, et trop souvent men-
songères, de brochures, de mémorandums et de tracts
dont le but unique est d'influencer les membres de la
Conférence de la Paix, les hommes d'Etat de l'Entente
et surtout le public français.
La question ukrainienne est donc à l'ordre du jour:
elle semble avoir remplacé la question balkanique,
A\ ANT-I'HOI'OS
(tiiln'fois si épineuse el comme elle, doiiiir lien a des
polémiques violentes dont toute courtoisie cl tout sen-
timent de vérité et de justice semblent fyanuis.
Comme de très gros intérêts français sont ciKjaijés
en Ukraine, que leur avenir dépend entièrement de
la solution qui sera apportée à la question ukrainien-
ne et comme, d'autre part, il est impossible que la
France prenne à l'égard d'une nation opprimée, une
attitude en contradiction flagrante avec tout son passe
historique et nullement conforme au droit et à la
justice, il paraît du devoir de tout Français revenant
de ces régions trop ignorées, non seulement de dire
ce qu'il a vu, mais aussi de formuler un jugement sur
les événements qui se sont déroulés sous ses yeux : le
public français pourra alors juger sainement sur des
faits concrets et les hommes politiques qui détiennent
en leurs mains l'honneur de la France pourront faire,
en connaissance de cause, le geste qui s'impose.
C'est pour remplir ce devoir qu'ont été écrites ces
pages, sous le seul patronage du respect de la vérité
et de la plus stricte impartialité.
Ch. D.
Paris, le 15 Août 1919.
DEUX ANNÉES EN UKRAINE
PREMIEllE PARTIE
MON SÉJOUR EN UKRAINE
Mon arrivée à Kiev
C'est le 6 janvier 1917 que je débarquai, pour la
première fois, à Kiev. En toute autre circonstance,
j'aurais admiré la capitale de l'Ukraine, avec ses rues
larges et droites, ses hautes maisons aux toits rouges
et verts, ses multiples églises aux dômes dorés, sa
cathédrale Saint-André qui s'embrase sous les baisers
du soleil, sa double croix de Saint-Vladimir qui s'illu-
mine le soir, son vieux ([uartier qui s'étage en gradins,
son fleuve majestueux qui roule, à la belle saison, ses
eaux jaunes et profondes sur lesc[uelles se jouent,
mouettes vivantes, une multitude de voiles blanches.
Mais, parti précipitanimcnl de Biicaresl, avec ma
famille, cinquante jours auparavant, (lucUpirs heures
i)i;i x ANNi:i;s i.s ikhainl
à j)cinc avuJit l'occupalioii de la capitale roumaine par
les troupes austro-allemandes, je venais d'accomplir
un voyage, véritable odyssée, (jui avait absorbé le plus
clair de mes économies et j'arrivais dans une ville
dont j'ignorais tout, surtout la langue et où je ne
connaissais âme qui vive. Je n'avais guère l'esprit ou-
vert à l'admiration.
De Kiev, je ne vis donc tout d'abord qu'une gare,
petite et sale, encombrée de soldats endormis sur le
sol et de désœuvrés grignotant les graines de tour-
nesol dont les Ukrainiens sont si friands, des cochers
enveloppés dans de vastes manteaux ouatés, chaussés
de grosses bottes de feutre et assis sur les planchet-
tes de traîneaux minuscules et fort bas; des mai-
sons, encore des maisons et toujours des maisons,
dont aucune porte ne semblait vouloir s'ouvrir pour
me donner l'hospitalité.
Kiev avant la guerre, ne })ossédait que GOO.OOO ha-
bitants, mais depuis que Polonais, Lithuaniens, Ser-
bes, Arméniens et Roumains, fuyant devant l'armée
ennemie, étaient accourus en foule dans l'Ukraine
hospitalière, la population kiévoise se chiffrait par
plus d'un million et demi d'habitants. D'où super-
population et crise de logements.
Dans la rue depuis huit heures du matin, par un froid
de 22° et sans avoir eu le temps de ne rien me mettre
sous la dent, je trouvai enfin, à neuf heures du soir,
obligeamment aidé par la Directrice du Foyer Fran-
KIEV AVANT LA REVOLUTION
çais, un gîte pour moi et les miens , dans un hôtel
tenu par une famille belge, au centre de la ville.
Grâce à l'intervention de M. le Colonel P..., officier
d'ordonnance du Général Berthelot, le Chef d'Etat-
Major du Général Rousky m'avait accordé, à mon
passage à la frontière roumano-russe, une recomman-
dation très chaleureuse qui me permit, dès le lende-
main de mon arrivée à Kiev, d'occuper, à l'Université
féminine, la chaire d'histoire de la littérature fran-
çaise, vacante depuis le départ de M. Ch., mobilisé, et,
au Gymnase Alexiev, celle de maître de langue fran-
çaise.
Assuré du pain quotidien pour moi et les miens, je
pus ouvrir les yeux sur ce qui m'entourait.
Kiev avant la Révolution
Deux faits me frappent tout d'abord : la liberté
extraordinairement grande accordée aux prisonniers
de guerre et le respect presque exagéré que témoi-
gnent les soldats russes à leurs officiers.
Les prisonniers de guerre, presque tous allemands
ou autrichiens, vont et viennent dans les rues de la
ville sans aucune surveillance, du moins apparente.
Très travailleurs et exerçant presque tous des profes-
sions, ils ont monté de petits commerces et de petits
DEUX ANNi:i;s i;.N i m; ai m;
ateliers (|iii leur loiil rrîiliscr de jolis Ijriu'ficcs. « Cela
C'sl j)ictV'ral)k' à la ij;Uorrc <, me dit un iiioim-soldat
qui veut i)ic'n me ressemeler une paire de souliers à
un prix étonnant par sa niodieilé.
Les soldats russes, très nombreux à Kiev, puiscpie
c'est de là que partent toutes les unités à destination
du front roumano-gallicien, se montrent très profon-
dément, trop profondément, à mon avis, respectueux
pour leurs officiers. Dès que ceux-ci paraissent, les
soldats s'arrêtent, se tournent face à l'endroit où l'of-
ficier va passer, frappent fortement le sol de leurs
deux talons, portent une main largement tendue à
leur shapka et dans un état de fixité et d'immobilité
absolues, attendent que l'officier ait disparu dans le
lointain.
Inutile de dire que la plupart du temps l'officier ne
paraît pas s'apercevoir de ces marques de respect.
Dans les restaurants, les cafés ou les brasseries, un
cadet, c'est-à-dire un élève officier, doit aller, la main
dans le rang et en claquant les talons, demander à
chaque officier présent, la permission de s'asseoir. Si
un officier entre dans ces mêmes lieux, chaque offi-
cier se lève aussitôt et la salle résonne du timbre clair
des éperons entrechoqués.
J'aurais été bien plus frappé si quelqu'un m'eût
alors dit que deux mois plus tard ces mêmes soldats,
non seulement ne salueraient plus leurs officiers,
mais porteraient la main sur eux et que ces officiers.
LA REVOLIFFOX lUSSK A KIEV
si fiers et si hautains, obéiraient à leurs soldats et les
craindraient.
Et cependant il en devait être ainsi.
La Révolution russe à Kiev
Les premiers bruits d'une révolution prochaine
commencèrent à circuler à Kiev dans les premiers
jours de février. Des personnes se disant et paraissant
bien informées me conseillèrent même de ne pas sor-
tir ce jour-là car « dans la rue il y aurait certaine-
ment des émeutes et le sang ne manquerait pas de
couler ».
La journée du 26 février arriva. Je sortis comme
d'htibitude et ne vis aucune émeute ; pas même la
plus petite manifestation. La Révolution annoncée
n'avait pas lieu. Elle n'était que retardée.
Les journaux paraissant à Kiev le 13 mars, annon-
cèrent à la population que le tsarisme avait vécu et
que Nicolas II ayant abdiqué, la Russie entrait dans
une ère nouvelle. Ce fut comme un coup de foudre.
S'arrachant les journaux, les passants dévoraient la
nouvelle et se jetaient dans les bras les uns des autres;
ils s'embrassaient, riant et pleurant tout à la fois.
A voir les rues de Kiev, ce jour-là, personne ne se
serait douté que l'Empire Russe venait de subir la
Di;i X AN.\i;i s IN t KMAINE
plus épouvantable calastrophi' euregistrée par l'His-
toire et (jue le colosse septentrional allait être réduit
en quckjues semaines à une sorte de néant.
Des rassemblements se fonnenl, des cortèges se
mettent à défiler aux accents de la Marseilldisr, dans
la rue Krechlchatik.Toutc la ville est en liesse. A toutes
les fenêtres, sur tous les édifices, des drapeaux rouges
apparaissent sortant on ne sait d'où; de place en
place, en travers des rues, de larges banderoles sont
tendues portant des inscriptions variées mais dont les
plus fréquentes sont : Vive la Révolution, vive la Li-
berté.
Les établissements scolaires étant fermés, j'eus
toute la journée pour jouir du spectacle qu'offrait la
ville; j'en profitai largement et petit-fils de la Révo-
lution de 1789, je restai à la fois, surpris et émerveillé
de voir cette foule, hier soumise au plus avilissant
des jougs, passer tout d'un coup à la plus entière des
libertés, sans un cri de haine, sans un acte vengeur.
Quatre jours après, la vie reprenait son cours, et il
semblait que rien n'était changé. Les ouvriers se ren-
daient aux usines de guerre comme par le passé et les
soldats partaient au front avec le même enthousiasme
que la semaine précédente. A Petrograd, le prince
Lvof, M. Milioukof et leurs amis mettaient sur pied le
gouvernement libéral qui devait durer trois mois.
LE MOLVËiMENT NATIONALISTE
Le mouvement nationaliste ukrainien
A^ Kiev et dans toute l'Ulvraine, un mouvement na-
tionalisl£_-&!i5feiU€v Un peu factice et hésitant, àlToH-
gin^ il acquiert bientôt une puissance irrésistible que
ses adversaires les plus acharnés ne sauraient ni ar-
rêter ni empêcher d'aboutir.
Des organisations sociales se mettent en devoir de
formuler leurs programmes et leurs désirs politiques
qu'elles adressent au Gouvernement provisoire. Des
délégués des organisations déjà existantes, dans le but
de coordonner leur travail en faveur des intérêts na-
tionaux, forment dans les villes des conseils natio-
naux ukrainiens. Un Conseil suprême, constitué
d'après l'ancien Concilhim générale du temps de l'het-
manat, est organisé à Kiev, sous le nom de Rada cen-
trale. Ce Parlement comprenait 800 membres, repré-
sentants de tous les partis politiques du pays sans
distinction de nationalités : Social-démocrates, socia-
listes révolutionnaires, socialistes fédéralistes, indé-
pendantistes, Bund juif, socialistes russes et polo-
nais. Son programme est la défense des conquêtes de
la Révolution (libertés nationales, terre aux paysans)
contre les ennemis du dedans (bolcheviks et tsaristes)
et du dehors (Allemands). Elle a contre elle tous les
partis bourgeois et aristocrates (propriétaires fon-
I)i;i ,\ ANMIS i;.\ IKKMM-:
cicrs, Inhiiciinls de sucre, l'om lionnaii es, (ii;iii(ls-l> lis-
ses, Polonais cl .liiils).
Enfin, un _i rand (lonj^rcs nalional s'asscnihlc à Kiev
cl. dans ses résolutions, donne; la formule fondanim-
tale des j)rinci()cs j)olili(iues des Ukrainiens.
Ces j)iincipes, admis })ar la plupart des i)arlis j)oli-
tiques, peuvent se résumer ainsi :
(laranlie des droits nationaux des minorités hal)i-
tant l'Ukraine.
Droit pour rAssemblée Constituante russe de sanc-
tionner la Constitution autonome de l'Ukraine.
Droit pour les organes du gouvernement autonome
de résoudre les problèmes économiques, sociaux et
surtout agraires du peuple ukrainien.
En attendant la réalisation de leur autonomie, les
Ukrainiens exigeaient :
La reconnaissance des droits de la langue ukrai-
nienne à un usage libre dans les institutions sociales
et administratives du pays;
/ La nomination aux emplois administratifs de per-
sonnes connaissant les mœurs et les coutumes du pays
et familières avec la langue du peuple ukrainien;
1 L'introduction de la langue ukrainienne dans l'en-
j seignement primaire et une ukrainisation progressive
I des écoles secondaires et supérieures dans les gouver-
I nements ukrainiens.
V
LA HADA HT LI-: r.Ol'A'KHXKMKNT PUOViSOIR!-: 9
Démêlés de la Rada avec le Gouvernement
provisoire
Nommée en avril, la Rada choisit en juin des minis-
tres, qui sous le nom de commissaires généraux, doi-
vent gouverner l'Ukraine jusqu'à la réunion de la
Constituante ukrainienne dont les élections se feront
en décembre 1917, et envoie à Petrograd une députa-
tion dans le but d'obtenir l'autonomie immédiate des
douze gouvernements qui constituent l'Ukraine.
La réponse dilatoire du Gouvernement provisoire,
ses soupçons injurieux et le refus de Kerensky, Minis-
tre de la Guerre, d'autoriser un Congrès militaire
ukrainien, exaspéra le sentiment national. Le Con-
grès eut quand même lieu à Kiev, le <S juin 1917, et
réunit plus de 2.000 délégués des soldats.
Ce fut un beau jour pour la nouvelle capitale,
Dès le matin, de grands rassemblements se for-
ment en différents i)oints de la ville et se concentrent
dans le Kretchtchatik, la plus belle rue de Kiev, où
ils défilent en un immense cortège. A midi, aux ac-
cents de la Marseillaise, et aux applaudissements
frénétiques d'une foule enthousiaste, le drapeau rouge
de la Révolution qui ilottait sur la Douma municipale
est amené et remplacé par le drapeau jaune et bleu
de l'Ukraine. Une manifestation assez tumultueuse
se déroule ensuite au pied du monument de Hogdan
Khmielnitski.
10 Di;ix anm':i:s i;\ ikhaim;
Le lendemain 19, la Rada centrale publia, sous le
nom d'Univcrsal, sa première proclamation où étaient
formulés les droits du i)cuj)lt' uUiaiiiicn. Le Ciouver-
nement provisoire prit peur et adressa à l'Ukraine un
appel qui amena une sorte de trêve, devenue néces-
saire d'ailleurs par les préparatifs de l'ofTensive qui
va se déclancher quelques semaines plus tard, sur le
front de la Galicie.
Visites de Français à Kiev
C'est alors que Kiev reçut la Aisite d'Albert Thomas
et de Kerensky.
Tous deux avaient entrepris de visiter tout le front
russe et en particulier le front gallicien, pour y rele-
ver les courages défaillants et enthousiasmer les trou-
pes pour l'offensive qui, de l'avis de tous, devait
donner le coup de grâce à l'adversaire et amener la
paix à brève échéance.
Albert Thomas assista à plusieurs meetings pen-
dant son court séjour à Kiev et au Club des Commer-
çants où une réunion monstre avait été organisée, il
se fit traiter d'impérialiste par les camarades socia-
listes auxquels il sut d'ailleurs répondre avec son
esprit coutumier.
Aux Français qui lui furent présentés dans les
VISITES DE FRANÇAIS A KIEV 11
salons du Consulat, il affirma la confiance du peuple
français dans la victoire finale, et les chargea de
remercier toute la colonie française pour le bon com-
bat qu'elle soutenait loin de la patrie.
Kérensky prononça, lui aussi,plusieurs discours qui
furent vivement applaudis; mais il était bien tard
pour lancer à une offensive victorieuse des soldats qui
avaient perdu toute discipline et tout respect pour les
officiers.
Presque en même temps que M. Albert Thomas, la
colonie française de Kiev eut à fêter la mission sani-
taire qui arrivait directement de France, avec un per-
sonnel et un matériel des plus importants. Elle y
venait installer deux hôpitaux pour le soulagement
et la guérison des blessés et des malades russes et
prouver au monde médical de Kiev que la médecine
et la chirurgie françaises ne le cédaient en rien à la
chirurgie et à la médecine allemandes.
Elle reçut partout le meilleur accueil et les salons
kiévois, ukrainiens, russes, polonais ou Israélites, se
disputent à l'envi l'honneur de posséder les médecins
et les officiers français.
Quelques semaines plus tard, arrivait également à
Kiev, M. Jean Pélissier, le seul Français au courant
depuis longtemps de la question ukrainienne et jouis-
sant dans tous les milieux ukrainiens de la plus vive
sympathie. L'ambassadeur de France en Russie, M.
Noulens, avait l'heureuse idée de l'envoyer se docu-
12 i)i;rx AN.\i'.i:.s i;n i kiî\i.\h
nunltr sur |)l;iic sur la vraie iialurc du iiiuuvLriicnt
ukrainien el s'assurer (|u'il axait hieii le caraclrrc dé-
in()crali([uc airirnié j)ar ses promoleuis.
Il faudrait des j)ages entières pour parler de l'acli-
vilé dépensée par M. Jean Pélissier duranl son séjour
en Ukraine. Qu'il suf'iisc de dire (jue l'envoyé
officiel de M. Xoulens fut le premier français (|ui
visita la Rada et le Secrétariat généra! et de regretter,
comme le regrettent prcs(pie tous les Français rési-
dant à Iviev, (pie la voix de M. Pélissier n'ait pas été
écoutée dans les si)lières à même d'agir à ce moment-
là. L'histoire dira plus tard quels désastres auraient
été évités à l'Ukraine et quel beau ileuron la France
aurait attaché à sa couronne, si aux longs rapports
de quelques incompétences galonnées, on avait préféré
les notes plus succinctes, mais ])lus fondées, de M,
Jean Pélissier.
Cet afflux de Français arrivant de France donna
une nouvelle impulsion aux Sociétés de propagande
française de Kiev.
La plus importante, l'Alliance Française, en som-
meil dej)uis la mobilisation de presque tous ses diri-
geants, sentit le besoin de nommer un nouveau Comité
dont l'intelligente activité devait avoir de si heureux
résultats. Des conférences avec projections sont aussi-
tôt organisées à l'Université Saint-Vladimir, dans le
but de faire connaître à tous l'héroïsme des soldats
français sur le front, le courage des femmes fran-
l'offensive de GALICIE 13
çaises dans les hôpitaux, l'effort de toute la France
à l'arrière. Ces conférences et les représentations théâ-
trales qui mettaient à contribution toutes les bonnes
volontés et tous les talents des membres de la colonie
française, réunirent, chaque quinzaine, plusieurs
milliers d'Ukrainiens, de Russes, de Polonais et d'Is-
raélites, heureux de voir de })lus près ces Français
que les agents allemands représentaient comme abat-
tus et désespérés et d'entendre une langue dont
l'harmonie est encore trop peu connue à Kiev.
L'offensive de Galicie
Tout à coup, les premiers échos d'une vaste otl'en-
sive entreprise en Galicie arrivent, en même temps
que les premiers blessés. Tout le monde en suit avec
le plus vif intérêt les diverses phases, car on espère,
cette fois, que la victoire amènera la paix des alliés.
D'ailleurs, elle se présente sous les plus brillants aus-
pices : Halitch est prise, les prisonniers arrivent en
nombre imposant ; les armées austro-allemandes
semblent démoralisées par la brusquerie de l'attaque.
L'espoir renaît dans tous les cœurs.
Hélas! ce ne devait pas être pour longtemps. L'en-
nemi se ressaisit, et attaque à son tour. Halitch est
reprise, la débandade se met dans les troupes russes.
14 i)\A\ ANM-KS i:n I k haï ni-:
C'est bientôt la panique sur tout le front : fantassins,
artilleurs, soldats de toutes armes se sauvent on un
affreux désordre, abandonnant tout le matériel à l'en-
nemi qui avance avec une rapidité vertigineuse, l'arme
à la bretelle, à travers toute la Galicie.
A Kiev, il y eut un moment d'angoisse : les Alle-
mands viendraient-ils jusque-là? La Galicie recon-
quise, un immense butin de guerre, la ruine de l'ar-
mée russe assuraient à l'ennemi un triomphe suffi-
sant. Il se stabilise à la frontière orientale de la Gali-
cie cl y creuse ses tranchées.
On comprit alors le mal irréparable causé au pays
par la Révolution, des ministres incapables, la dicta-
ture de la parole exercée par Kerensky, Une première
vague maximaliste faillit tout emporter; Kornilov,
dans sa tentative de mouvement militaire, échoue et
se trouve à peu près seul.
Reprise des pourparlers entre Kiev et
Pétrograd
Le Gouvernement provisoire sentit alors le besoin
de ne pas s'aliéner tout à fait l'Ukraine. Trois de ses
membres : Kerensky, Tseretelli et Terechtenko
viennent à Kiev avec mission de prendre contact
avec la Rada et signer un arrangement à l'amiable.
POURPARLERS ENTRE KIEV ET PÉTROGRAD 15
Les deux partis arrivent à un accord enregistré dans
un Second Universal, maïs non ratifié par le Parle-
ment de Petrograd qui trouve trop grandes les con-
cessions accordées aux Ukrainiens par ses délégués.
Les Cadets donnent en bloc leur démission.
A Kiev, l'on est très loin d'être satisfait et l'irrita-
tion contre les Grands Russiens est si \ive que les
fusils partent tout seuls. A la gare, une échauffourée
sanglante a lieu entre les soldats du régiment ukrai-
nien Bogdan-Kmielnitski et un escadron de cuiras-
siers russes.
Une délégation de la Rada présidée par Vinnitchen-
ko se rendit alors à Petrograd pour faire ratifier offi-
ciellement l'accord conclu à Kiev. Kerensky commit la
maladresse de faire traîner les choses en longueur au
lieu de tenir rigoureusement ses promesses. Aussi
l'Instruction du 18 août, qui devait mettre fin au con-
flit, ne fait que redoubler le mécontentement des
Ukrainiens.
DKliX ANNlilvS ES ( KMAINK
Le Coup d État des Bolcheviks
Les clioses en éhiicnt là (jiuiikI les maximalish-s
renvcrsoreni, le 7 n(»veml)re, la Kc'piihliciiU' soeialisle
et naiionale de Kereiisky avee la même tacililé que
la Hé\()luti()n libérale a\ail l)a!ayé, le 12 inar^, l'auto-
crate Nicolas IL
Simple rapprochement : Le T) novembre, deux
Jours avant le coup d'Etat de Petrograd, l'Autriche,
par l'intermédiaire de la Russie, proposait aux Alliés
d'entamer des pourj)arlers de paix. Ce pouvait être la
fin de la guerre à brève échéance. Les Bolcheviks pre-
naient donc le pouvoir, la veille du jour où l'Autriche
allait abandonner son alliée et sa complice.
Qu'est-ce donc que ces Bolcheviks tout d'abord
connus sous le nom de maximalistes ?
A l'origine, une vulgaire bande de voleurs, qui, au
début de la Révolution russe, avaient chassé
Mathilde Kchessinska de son palais, l'avaient pillée
et dépouillée, s'étaient installés chez elle, puis avaient
donné, dans la demeure de la célèbre ballerine, des
concerts pour le peuple.
Depuis, ils avaient fait leur chemin.
Payés par l'Allemagne, excitant les appétits du
j)eu})le, favorisant ses plus bas instincts, ils avaient
formé le parti bolcheviste — du mot russe bolchoi
« plus grand > — qui s'emparait du pouxoir le 5 no-
COUP d'état des bolcheviks 17
venibre. Ce parti enseignait la haine des « bour-
jouis », de la classe intellectuelle. Il promettait le
partage des terres et en général de toutes les pro-
priétés, en parties égales, chacun devant cultiver soi-
même. Il défendait d'employer un salarié. Si un pau-
vre vieux, ou un malade ne peut travailler, il doit
céder sa part à d'autres. Au bout de deux ans, un
locataire d'un appartement en devient propriétaire.
Les dépôts des banques sont saisis et partagés.
Que de merveilleuses promesses! Mais la plus belle
de toutes, la plus désirée, est celle d'une paix pro-
chaine.
Il semble donc qu'avec le régime bolcheviste, le bon-
heur va rayonner sur toute la Russie.
Hélas! A Petrograd, le Palais d'Hiver est bombardé,
luiis pillé par les matelots, les femmes-soldats sont
jetées en cellule, les ministres, frappés à coups de
crosse, les officiers assassinés. Beaucoup de per-
sonnes folles de terreur se jettent dans la Neva ou y
sont précipitées. Kerensky s'enfuit.
A Moscou, c'est la lutte acharnée, chaque maison
est une forteresse, la guerre des rues est terrible; l'ar-
tillerie s'en mêle, l'incomparable Kremlin n'est pas
épargné. Beaucoup de morts, de part et d'autre, mais,
comme Petrograd, Moscou passe aux mains de Lénine.
Odessa voit se dérouler des scènes elfrayantcs. l^ne
usine d'nlcool est pillée, une importante cave mise à
3
18 iJEi X anm';i;s j;n lkhainj:
sac. L'ivresse rend réincule plus horrible encore.
Odessa voit se renouveler les noyades de Nantes.
A Kiev, l'on craint des troubles; mais les Cadets
placent dans les rues des canons et des mitrailleuses :
sauf quelques coups de feu et quelques victimes, la
ville reste calme le premier jour.
Emeute sanglante à Kiev
Le lendemain 8 novembre, Kiev entend le premier
coup de canon.
Les Cosaques avaient jusque-là maintenu les Bol-
cheviks russes de Kiev dans un certain respect de
l'ordre établi, mais ils se voient obligés de descendre
vers le Don et les Ukrainiens restent incertains sur la
conduite à tenir. Aussi les Bolcheviks en profitent
pour s'emparer, dans la nuit, de l'arsenal d'où
ils se mettent à mitrailler le quartier de Lipky.
Maîtres de la forteresse dans l'après-midi, ils bom-
bardent la maison du Gouverneur russe dans laquelle
est installé l'hôpital français dont les blessés doivent
être évacués sous la mitraille.
La révolte est dirigée contre les représentants du
gouvernement de Kerensky qui se sont jusqu'à ce
jour maintenus à Kiev; aussi les troupes qu'on lui
oppose sont des Yunkers, jeunes élèves officiers de 16
EMEUTE SANGLANTE A KIEV 19
à 18 ans, et quelques bataillons fidèles au Gouverne-
ment provisoire.
Pendant trois jours, l'on se bat ferme et sauvage-
ment; les balles retournées et les dum-dum sont cou-
ramment employées. Les petits Cadets faits prison-
niers sont impitoyablement fusillés.
Cependant les troupes tchèques envoj'ées du front
approchent et les Bolcheviks sentant la partie compro-
mise, acceptent l'intervention des Ukrainiens qui sont
jusque-là restés neutres et se sont contentés d'assurer
la sécurité de la population paisible. Ceux-ci proposent
aux combattants de cesser la lutte et d'évacuer la ville.
Eux se chargent de l'ordre : la police russe est immé-
diatement remplacée par une milice ukrainienne. Le
gouvernement de Kerensky est peu satisfait de
cette intervention, il donne l'ordre aux Junkers d'atta-
quer les troupes ukrainiennes qui les repoussent, et
s'emparent de l'arsenal et de toutes les administra-
tions. Les Tchèques qui sont arrivés à Kiev reçoivent
à leur tour l'ordre d'attaquer les Ukrainiens qu'on
leur représente comme Bolcheviks. Une lutte s'engage
mais comprenant bientôt qu'on les a trompés, ils refu-
sent de se battre plus longtemps, déclarant que parti-
sans du principe des nationalités, ils veulent rester
neutres dans les affaires intérieures de la Russie.
L'état-major de Kerensky qui n'avait pas d'autres trou-
pes se rend aux Ukrainiens. Le 17, le calme renaît,
la vie reprend son cours. Les cocardes jaunes et bleues
20 1)1 I X anm';i;s kn ukhaink
triomphent à Kiev, rc'cusson de S;iinl-(l:il)ricl vient de
remporter sa ])rc'mi('ic' victoire.
Cette victoire soulève au front sud-ouest un ;^rand
enthousiasme. Deux armées envoient leurs félicita-
tions et leur appui à l'Ukraine.
Proclamation de la République ukrainienne
De même que le prince Lvov, en prenant en mains
les rênes du Gouvernement de Petrograd, avait
décrété, un peu imprudemment peut-être, le principe
d'auto-dêtermination qui avait permis à la Finlande,
la Pologne, l'Ukraine et à quelques autres Etats « allo-
gènes » de déclarer leur indépendance ou leur auto-
nomie, le Gouvernement des Soviets s'empressa, dans
sa Déclaration des Droits des peuples de Russie, du
15 novembre 1917, de reconnaître sans restriction le
droit des nationalités à disposer d'elles-mêmes et mê-
me à se détacher entièrement de la Russie.
Aussi la Rada centrale de Kiev, ne voulant à aucun
prix reconnaître le gouvernement des So\'iets qui
vient de s'instaurer à Petrograde, proclame, le 20 no-
vembre, au milieu de l'enthousiasme indicible de toute
la population, dans le troisième Universal, la Répu-
blique ukrainienne fédérative. Le Secrétariat général
engage des pourparlers avec les gouvernements qui se
L'UKRAINE VKUT RESTER FIDÈLE A l'eNTENTE 21
sont créés dans les nouveaux Etats érigés sur les rui-
nes de l'Empire russe (Don, Kouban, Géorgie et Sibé-
rie) afin de les amener à une fédération. Mais le man-
que de communications et le désir de plus en plus
prononcé dans l'armée de se séparer complètement
de la Russie, oblige la Rada à renoncer à son projet et
à envisager l'indépendance qui sera déclarée le 9 jan-
vier 1918 par le quatrième Universal.
L'Ukraine veut rester fidèle à l'Entente
Tout le monde espère que l'Ukraine va pouvoir
enfin se livrer en toute tranquillité aux deux missions
qui lui incombent : travailler à l'organisation de son
Etat et soutenir le front du Sud-Ouest, ainsi qu'elle le
fait depuis la dernière ofTensive allemande du mois
de juillet.
Il n'en devait rien être.
Dès le début de décembre, la France et l'Angleterre
envoient leurs représentants près du Gouvernement
de la nouvelle République, et peu après s'engagent
des pourparlers d'abord officieux, puis officiels. Dési-
reux de contrecarrer les pourparlers de paix qui
venaient de commencer à Rrest-Litovsk entre les
Austro-Allemands et les Maximalistes, le général Ta-
22 DKiix ANNi%i:s i:n ukuaink
bouis, ancien attaché à l'Etal-Major russe du front
Sud-Ouest, réceninient nommé commissaire de la
République l'rançaise en Ukraine, fait des avances au
Secrétariat général ukrainien.
La capitale ukrainienne organise une jolie manifes-
tation en l'honneui- des missions militaires françaises
et anglaises que les pourparlers russo-allemands ont
obligées de quitter le front et (jui viennent à Kiev
demander au gouvernement de Vinnitchenko de con-
tinuer la guerre contre les puissances centrales. Les
troupes ukrainiennes et le gouvernement les reçoivent
ofliciellement.
Quelques jours après, la Rada centrale de Kiev
publie un manifeste, constatant que depuis un mois
qu'il est au pouvoir, le gouvernement des Soviets s'est
montré incapable de gouverner, qu'il a amené partout
la désorganisation, l'anarchie et la désagrégation du
front; qu'enfin lâchement il vient de signer l'armis-
tice. L'Ukraine se refuse à une telle lâcheté et à une
telle traîtrise envers les Alliés.
En même temps, MM. Petlioura et Vinnitchenko
déclarent à M. Pélissier, l'envoyé officiel de M. Nou-
lens à Kiev, que les régiments ukrainiens combattront
jusqu'au bout aux côtés des AlUés, mais que vu la
décomposition croissante de l'Etat russe, il y aurait
nécessité pour les Alliés d'aider l'Ukraine à s'organi-
ser en Etat indépendant avec une armée nationale
pour continuer la guerre contre l'Allemagne et empè-
l'ukraine veut rester fidèle a l'entente 23
cher l'anarchie de s'étendre. Ces déclarations furent
publiées, à cette époque, en France, dans Vlnforma-
tion, en Russie, dans le Journal de Petrograd. A l'his-
toire de dire pourquoi l'Entente ne crut pas devoir
seconder ces bonnes volontés.
Toujours à la même époque, le général Tabouis,
ayant réuni au Consulat français les membres de la
colonie française, donne l'assurance aux timorés que
si les Allemands ou les Bolchevistes n'arrivent pas à
Kiev avant un mois, le front ukrainien défiera tous
les coups qui pourront lui être portés, que les soldats
ukrainiens sont admirables de bravoure et de patrio-
tisme.
Malheureusement, deux tendances commencent à
se manifester au sein du secrétariat général.
Quelques secrétaires, bien qu'ententistes, estiment
impossible pour l'Ukraine de continuer la guerre
contre les Empires centraux. Les Bolcheviks ont en
effet désorganisé l'armée qui déserte le front, brûlant
et pillant tout sur son passage, et l'Ukraine n'a pas
l'armée nationale que ses représentants ne cessent de
demander, le regroupement des forces ukrainiennes
sur lie territoire de l'Ukraine n'ayant jamais été admis
par le Grand Quartier Général Russe, ni par le Gou-
vernement de Petrograd. M. Vinnitchenko demande
alors aux Alliés d'aider l'Ukraine à se mettre à l'abri
de l'invasion étrangère, à se défendre contre les Bol-
cheviks et à organiser son armée nationale. Il
24 i)i:t \ ANNKi-s i:n i kumm:
manifeste en même temps le désir de voir reconnaître
par l'Entente le Secrétariat général comme gouverne-
ment actuel de l'Ukraine,
M. Galip, membre inlluenl du parti Jeune l'kr<tinien
et à ce moment-là directeur des Affaires politiques
au Secrétariat des Affaires Etrangères, dépense une
activité fébrile pour aboutir entre l'Enlente, et sur-
tout la France et l'Ukraine, à un accord qui permet-
trait à cette dernière de continuer la guerre malgré
les obstacles qui surgissent de toutes parts.
M. Petlioura, secrétaire de la guerre, appuyé par le
groupe Jeu ne -Ukrainien, auquel sont affiliés tous
les officiers de l'Etat-Major du Secrétaire de la Guerre,
le Commandant des troupes de Kiev et son Etat-
Major, se déclare prêt à continuer jusqu'au bout la
lutte contre l'Allemagne, non avec les troupes du front
qui sont en pleine dissolution, mais avec une armée
de 500.000 francs-cosaques, qui pourrait être recru-
tée parmi les paysans désireux de défendre leurs
terres.
Pour montrer sa bonne volonté à l'égard des puis-
sances de l'Entente, il refuse de reconnaître Krylenko
comme généralissime de l'armée russo-ukrainienne,
en remplacement du généralissime russe Doukhonine,
assasiné à la Stavka de Mogilev par les Bolcheviks;
il proclame front ukrainien le front qui s'étend de
Brest-Litovsk à la frontière roumaine et en confie la
défense au général Cherbatchef, jusqu'alors général
ULTIMATUM DES SOVIETS RUSSES 25
en chef du front sud-ouest et signe l'ordre de désar-
mement général des Bolcheviks à Kiev et sur tout le
territoire de l'Ukraine.
C'était le signal de la guerre entre l'Ukraine et les
Bolcheviks, cette affreuse guerre qui n'est pas encore
terminée à l'heure actuelle.
Ultimatum du gouvernement des
Soviets russes
Pour commencer ses opérations contre la nouvelle
République, le Gouvernement des Soviets n'attendait
qu'une occasion. Il la trouve dans une dépêche chiffrée
du Gouvernement français qu'il intercepte et publie
dans les journaux de Petrograd.
Sous prétexte que le Gouvernement ukrainien a
entamé des pourparlers secrets avec les Alliés et
notamment avec la mission française dans l'intention
de « saboter la cause de la paix » et d'empêcher
celle-ci d'aboutir immédiatement, il lui envoie un
ultimatum et commence aussitôt l'attaque contre l'U-
kraine en faisant « donner » les Bolcheviks russes qui
se trouvaient à Kiev, en attendant que les troupes
régulières franchissent la frontière.
Prise entre deux feux, celui des Austro-Allemands à
l'ouest, et celui des Maximalistes à l'est, la Rada cen-
2(> DKL'X ANNi':i;s i;n lkh.mnk
traie, qui a cependant déclaré qu'elle restera fidèle à
l'Enlente, nomme des délégués qu'elle envoie à Brest-
Lilovsk, refuser à la délégation maximal iste de Petro-
grad le droit de parler au nom de l'Ukraine et ouvrir
des pourparlers en vue de la paix.
Mécontent de cette décision, Petlioura donne sa
démission de secrétaire de la Guerre et se rend en
province pour y organiser des corps de francs-
cosaques afin de lutter contre les ennemis de son pays.
Le bruit s'étant répandu à Kiev que le Cabinet
Vinnitchenko est sur le point de conclure la paix avec
les Puissances centrales, le parti Jeune-Ukrainien
décide de faire un coup d'Etat pour le renverser et
empêcher la signature du traité. Les automobiles blin-
dées font dans les rues de Kiev une démonstration.
Vinnintchenko démissionne.
Skoropadski, général dans l'ancienne armée russe,
avait songé à prendre la dictature avec le titre de
Hetman, mais le moment venu, il se défile sous pré-
texte que les Alliés ne lui donnent pas la promesse de
faire défendre Kiev contre les Bolcheviks par les deux
divisions tchéco-slovaques qui se trouvent dans la
ville.
La Colonie française, que les événements n'ont nul-
lement émue et qui continue à garder toute sa sym-
pathie et aussi toute sa confiance au mouvement ukrai-
nien, décide d'ofïrir aux poilus des différentes mis-
sions françaises et aux officiers français et alliés une
SECONDE ÉMEUTE A KIEV 27
soirée artistique dans la salle du Conservatoire. Les
professeurs français de Kiev interprètent au milieu de
l'hilarité générale le Client sérieux du gai Courteline.
Ne fallait-il pas rire un peu avant le nouvel assaut que
Kiev allait subir?
Succès des troupes bolchevistes
en Ukraine
Lancés par les Allemands contre la jeune Répu-
blique ukrainienne au moment où celle-ci s'entendait
avec les Alliés pour la continuation de la guerre, les
Bolcheviks ne peuvent plus être arrêtés. D'ailleurs,
l'arrivée de la Délégation ukrainienne à Brest-Litovsk
rend Krylenko moins intéressant et permet aux Alle-
mands de hausser le ton en parlant aux délégués
maximalistes.
Le 28 janvier, Loubny, situé entre Poltava et Kiev,
tombe aux pouvoirs des Bolcheviks : la route de la
capitale ukrainienne est ouverte.
Seconde émeute à Kiev
Le lendemain, les Bolcheviks de Kiev sentant les
camarades approcher, s'emparent par surprise et sans
coup férir de l'arsenal qui contient mitrailleuses,
2.S i)i;i \ ANNKi-s i;n i kiîaini:
arlilleric et munitions. On se bat avec acharnement
durant toute la nuit et le lendemain. Le 31, ils s'em-
parent de Podol, bas quartier de la ville, sur la rive
du Dniépre. Au Télégraphe, la lutte est d'une violence
inouïe. Beaucouj) de victimes même j)armi les civils.
Le commandant Jourdan, de la Mission française, est
tué d'une balle perdue de mitrailleuse. L'aspect des
rues est sinistre. Tranchées, barricades, mitrailleuses
aux carrefours, des canons sur les places et sur les
endroits les plus élevés; la circulation est complète-
ment interrompue, l'électricité est coupée.
Le 2 février, la lutte augmente d'intensité : des
trains blindés tirent sans arrêt dans les rues. Lors-
qu'on se risque à sortir, il faut souvent s'étendre à
terre et attendre que les rafales se calment, tant les
balles tapent dur à hauteur d'homme, faisant voler
en éclats les vitres et criblant littéralement les murs.
De paisibles habitants trouvent ainsi la mort chez
eux...
En ville, plus de pain depuis la bataille. Heureux
les prévoyants qui ont fait quelques provisions d'eau
et de farine. Pour s'engager dans la garde rouge, il
suffit de s'inscrire et l'on obtient un fusil. Aussi
peut-on voir passer dans les rues de sinistres bandes
armées aux allures inquiétantes.
Le 3 février, la lutte continue encore plus achar-
née, mais les troupes d'investissement bolcheviques
n'ayant pas encore atteint Kiev et Petlioura arrivant
PRISE DE KIEV PAR LES BOLCHEVIKS 29
de province avec quelques troupes francs-cosaques,
les Ukrainiens l'emportent. Les derniers gardes rouges
sont fusillés, l'arsenal se rend et l'on s'aperçoit que
c'était une poignée d'hommes qui avaient mené
l'émeute.
Les Ukrainiens vainqueurs célèbrent leur victoire.
En ville, grand défilé de troupes victorieuses, musique
en tête.
Pendant ce temps, les troupes régulières bolche\d-
ques encerclent la ville. De grandes forces arrivent
sur trains blindés.
A l'extérieur, Odessa tombe entre leurs mains après
un bombardement de trois jours. Là-bas aussi le sang
a coulé.
Un nouveau ministère est constitué qui réclame
l'aide immédiate de l'Autriche. Mais l'Ukraine n'existe
plus, seul son cœur bat encore, mais bien faiblement.
Prise de Kiev par les Bolcheviks
Le 3 février, commence l'attaque méthodique de la
ville. Deux trains bombardent sans arrêt le Lipkj', le
plus élégant quartier de Kiev. Pendant quatre jours
et quatre nuits le bombardement est d'une violence
inouïe. On compte la nuit une moyenne de huit coups
à la minute et 50.000 obus en quatre jours, faisant
30 DEUX ANNÉES EN l'KHAINK
près de If). 001) vicliines. La lueur sinistre des incen-
dies éclaire seule la ville. La maison du Prési-
dent (Irouchevski, bâtisse liaute de neuf étages, flambe,
ayant été particulièrement visée.
Le 7, le honibardcment redouble de vigueur, la lutte
dans les rues devient de la sauvagerie. Partout les
Bolcheviks avancent. La fm approche. Petlioura se
défend avec acharnement tant qu'il peut espérer que
les deux divisions tchéco-slovaques, cantonnées dans
la ville, marcheront à son secours. Mais celles-ci,
pour avoir le chemin libre jusqu'à Vladivostok, oni
fait un pacte avec les Bolcheviks. Quand tout espoir
est perdu, Petlioura bat en retraite avec les débris de
ses troupes vers Jitomir et Berditchef. Avec lui
quittent Kiev les membres de la Rada et du Secréta-
riat général qui s'était reconstitué sous la présidence
de Gouloubovitch et avait vécu d'une vie falote pen-
dant le siège de la ville.
Avant de partir, ce gouvernement, dans un acte de
désespoir, donne l'ordre à ses plénipotentiaires de
Brest-Litovsk de signer la paix avec les Puissances
centrales.
Le lendemain, les vainqueurs font leur entrée.
KIEV SOIS LE RÉGIME DES SOVIETS 31
Kiev sous le régime des Soviets
Qui avait mené si brillamment cette attaque? Le
Colonel Mouraviof, le vainqueur de Petrograd et de
Moscou et à ce moment commandant en chef des
troupes révolutionnaires. Jeune, intelligent, mais dur
et cruel, il fît impitoyablement fusiller tous les offi-
ciers ukrainiens ou polonais : ces derniers venaient de
s'emparer de la Stafka de Moghilef et accouraient
délivrer Kiev.
Ancien policier, le colonel parle en maître. Sa for-
tune est grande grâce aux contributions dont il frappe
les habitants de chaque ville dont il s'empare. A Kiev,
le bijoutier Marchak doit payer 180.000 roubles. Gal-
perine, un riche raffineur, 300.000. Radzivill, 100.000.
La ville elle-même doit verser dans les trois jours
dix millions. Mais la banque d'Etat n'a que
225,000 roubles en caisse. Les principaux action-
naires et les gros clients devront donc payer en
chèques qui s'ajouteront à leurs taxes personnelles.
Le soir, le colonel, confortablement installé dans le
meilleur hôtel de Kiev, boit ferme en compagnie de
son Etat-Major.
Très vite l'ordre est rétabli dans la ville, mais la
terreur commence à régner. Le sinistre tribunal s'est
installé dans l'ancien palais impérial. Une salle con-
tient les prisonniers, pauvres diables d'officiers por-
',V2 i)i:rx .\nni':i;s i:n ikhaini-:
teurs de laissez-passer ukrainiens. L'on juge rapidc-
nient. Toute défense est inutile. Une seule peine, la
mort. On déshabille les condamnés, on les revêt d'une
capote de soldat et devant le Palais même on les
fusille à la mitrailleuse. J'ai vu de mes yeux fusiller
deux généraux et une vingtaine d'officiers dans l'es-
pace d'une demi-heure. Des camions automobiles
chargent les morts, tous frappés à la tête, et les
emportent au jardin du Tsar où est creusée une fosse
large mais peu profonde. Plusieurs jours après les
dernières exécutions, en se promenant dans le jardin,
l'on pouvait voir à terre de nombreuses cervelles.
2.300 peines de mort sont prononcées par le sombre
tribunal.
Pour empêcher le massacre de leurs nationaux,
les Polonais se déclarent neutres et abandonnent la
lutte.
Vis-à-vis des Français, le colonel est peu bienveil-
lant. Il prétend que les officiers des missions sani-
taires ou d'aviation n'ont pas été rigoureusement
neutres et recommande aux militaires de ne pas bou-
ger, autrement les Français civils paieront pour eux.
Des perquisitions sont opérées en masse. On
cherche les officiers qui se cachent encore et l'on saisit
toutes les armes. En ville que de dégâts ! Des maisons
éventrées, des vitres partout brisées, des devantures
de magasins criblées de balles, des fils des télégraphes
et des tramways pendent lamentablement et donnent
KIEV ÉVACUÉK PAR LKS BOLCHEVIKS 33
un aspect sinistre. Le ravitaillement devient dif-
ficile. Les Bolcheviks ayant taxé les denrées, les
paysans se refusent à venir en ville : plus de beurre,
plus de viande, du pain noir fait avec de la farine de
pois chiches.
Dans les rues, de sinistres têtes de marins et de
sœurs de charité, terribles et impressionnantes appa-
ritions. Elles sont typiques ces sœurs, parfois en
culottes, le revolver à la ceinture, servant aux unes à
achever les blessés, aux autres à faire le coup de feu
pendant la bataille.
Quelques jours plus tard, l'on fait aux Bolcheviks
des funérailles grandioses: 450 corps couchés dans de
noirs cercueils, suivis d'un immense cortège, drapeaux
rouges et noirs en tête. Pas un Pope. Beaucoup de
bières ouvertes suivant la coutume orthodoxe. De
pauvres mères embrassent le cher visage du mort et
se frappent le front contre les cercueils.
Kiev évacuée par les Bolcheviks
Le 16 février, l'armistice est rompu, et aussitôt
Allemands et Autrichiens avancent pour occuper le
pays. Mouraviof quitte Kiev ])our aller en Bessarabie
contre les Roumains. Les Allemands occupent Rovno.
Bientôt ils seront ;i Kiev où ils sont allendus avec
i
34 I)i;lx ANNKi s in I ivH aim;
impatience, car alors la lc;rri'ur cessera, Ja hainjuiliité
régnera, la \ie iioimale enliii reprendra.
En silence, les Bolcheviks évacuent lu ville, et la
livrent à de nombreuses bandes de nialelols i>illards.
Les arrestations recommencent, les fusillades sont
plus terribles et plus arbitraires : des officiers recon-
nus par leurs hommes sont fusillés pour ce seul mo-
tif. Les marins deviennent plus audacieux et ne res-
pectent plus les étrangers. La terreur des habitants
est grande. C'est un exode général des étrangers vers
Moscou.
Le 19, les missions françaises quittent Kiev ayant
à leur tête le général Tabouis, commissaire de la Ré-
publique française près du Gouvernement ukrainien.
Un grand nombre de françaises réussissent à trouver
place dans le train et à se sauver vers le Nord d'où
peut-être elles pourront regagner la France; le len-
demain, le Consul part à son tour. La ville est traver-
sée par 30.000 Tchèques qui fuient vers l'Est.
Le 23, les Allemands font leur entrée à Kiev,
et annoncent au monde que la capitale de l'Ukraine
a été délivrée par des troupes saxonnes.
Peu à peu le calme renait et la vie normale reprend
son cours.
Quelques jours après, le Cabinet Gouloubo-
vitch revenait à Kiev et faisait pubher une note
pour manifester son étonnement d'apprendre que les
autorités consulaires alliées ont quitté Kiev, les Aile-
COUP d'état des allemands .35
mands y étant venus comme amis de l'Ukraine et non
en vainqueurs.
Coup d'Etat des Allemands
Ces amis ne tardent pas à susciter la colère et la
haine du peuple, par leur brutalité et leurs dépra-
dations.
Le 29 avril, les Allemands mécontents de l'oppo-
sition acharnée des Ukrainiens, dispersent la
Rada centrale par la force des baïonnettes, empri-
sonnent quelques-uns de ses membres et mettent à
la tête du Gouvernement ukrainien le général russe
Skoropadsky. beau-frère du feld-maréchal allemand
Eichorn, tué quelques semaines plus tard à Kiev d'un
coup de grenade. Aussitôt, s'appuyant d'une part, sur
les Allemands, d'autre part, sur la bourgeoisie et
l'aristocratie russes et polonaises, il prend le titre
de Hetman, forme un gouvernement réactionnaire, et
démobilise les troupes ukrainiennes. Il reçoit l'auto-
risation de former une armée qui ne dépassera pas
10.000 hommes.
36 i)F:rx anm-ks un ikhaim-:
Le gouvernement du Hetman Skoropadsky
Ce couj» (l'iClal (iiu- la populalic^n (ie Kiev et même
les chefs des partis politiques avaient été loin de
sou])çonner, intronise par un procédé arbitraire et
tout artificiel un pouvoir ([ui ne répond en rien aux
exigences dcniocrati(|ues de ré])oque et de ce fait
ne trouve aucun appui dans le peuple. 11 est évident
pour tout le inonde ([ue le Hetman n'est qu'une créa-
turc des milieux réactionnaires allemands, car la per-
sonnalité de Skoropadsky a été jusqu'à cette époque
tellement indécise et même inconnue, qu'aucun parti
politique ukrainien, sans excepter les groupes modé-
rés, ne croit possible de faire partie du Gouvernement
formé par le Hetman. Tous les pourparlers conduits à
cet efTet par son entourage, avec les chefs des partis
ukrainiens, de même que tous les efforts tentés par
M. P. Vassilenko, cadet russe, et par les représentants
du haut commandement allemand, restent vains.
La Conférence du parti socialiste-fédéraliste,
du 10 mai, prend une résolution toute spéciale, par
laquelle elle interdit à ses membres d'assumer des
postes dans le gouvernement du Hetman. Cette inter-
diction fut maintenue jusqu'à la fm d'octobre, au
moment où la défaite allemande devenant certaine, et
comprenant que sa politique courait à un lirack si elle
GOUVERNKMENT DU HETMAN SKOROPADSKY 37
ne s'appuyait pas sur les milieux ukrainiens, le Het-
man se mit à prodiguer des assurances qu'il l'oriente-
rait désormais dans un sens purement national et
qu'il aborderait sans retard les réformes démocra-
tiques. Certains hommes politiques entrèrent alors
dans le gouvernement du Hetman, mais à titre person-
nel et dans le seul but de prévenir un soulèvement
populaire au moyen de réformes démocratiques
urgentes et en premier lieu, de la réforme agraire.
Les nouveaux ministres ukrainiens virent, cepen-
dant, aussitôt, qu'ils n'avaient point de majorité dans
le Cabinet et qu'à eux seuls, ils étaient impuissants à
faire réaliser les réformes nécessaires. Le Congrès
National Ukrainien dont ils réclamaient la convocation
n'ayant pas été autorisé, ils quittèrent le gouverne-
ment dans la nuit du 14 au 15 novembre. Depuis le
coup d'Etat et l'avènement de l'Hetman, des représen-
tants de milieux politiques ukrainiens n'ont donc par-
ticipé au gouvernement que pendant une quinzaine de
jours et encore n'y ont-ils formé qu'une minorité.
La responsabilité pour la politique intérieure et
étrangère pratiquée par l'Hetman depuis le coup
d'Etat du 29 avril juscju'au jour de son. renversement,
ne peut donc être mise en aucune façon à la charge
des partis politiques ou des milieux sociaux ukrai-
niens.
Le Cabinet formé le 2 mai par M, Vassilenko et pré-
sidé par M. Lizogoub, octobriste, est un cabinet tout à
38 DKL'X ANNÉES KN l RHAINK
fait incolore au point de \ue de la polili(|iie et de
l'idée nationales.
M. Kolokoltzoll, (jui occupe bientôt après le poste
de ministre de l'Agriculture, est réactionnaire ; les
autres ministres appartiennent soit au parti cadet
pan-russe, hostile à la régénération ukrainienne, ou
bien onl un programme très rapproché de celui des
cadets.
Le ministre des Finances, M. Rjepetski, cadet, re-
connaît ouvertement dans son discours prononcé au
Congres des Cadets {Kievskaia Mijsl du 11 mai), qu'il
a pris une part personnelle à l'élection du Hetman,
ainsi qu'aux tentatives <( de rapprochement avec nos
nouveaux alliés » (c'est-à-dire l'Allemagne et l'Autri-
che).
Le cadet Vassilenko s'exprime au même Congrès
d'une manière encore plus catégorique : « Je me suis
depuis longtemps déjà convaincu, déclare-t-il, que les
circonstances historiques se sont formées de telle fa-
çon que nos intérêts économiques et commerciaux
sont liés aux Puissances centrales et principalement
à l'Allemagne... Notre histoire nous montre que nos
intérêts nous liaient d'une manière plus vivante à
l'Allemagne qu'à l'Angleterre. C'est surtout grâce à
l'Angleterre que nous avons perdu la partie au Con-
grès de Berlin; c'est grâce aux diplomates anglais que
nous avons perdu les Dardanelles et Constantinople.
L'Allemagne et nous, nous sommes géographique-
GOUVERNEMENT DU HET.MAN SKOROPADSKV 39
ment voisins et nos intérêts respectifs sont liés les
uns aux autres. Il en a été ainsi avant la guerre, il
en est ainsi actuellement, il en sera ainsi, je crois
encore, après la guerre. » (Kievskaia Mysl, n" 72.)
Cette manière de voir des ministres cadets est
sanctionnée ensuite par le leader du parti cadet, M.
Milioukofif. « Je m'oppose résolument à l'interdiction
doctrinaire défendant aux membres du parti cadet
d'établir des accords avec les Allemands ou de faire
appel à leur concours en vue du rétablissement du
pouvoir et de l'ordre et de l'organisation des affaires
locales », écrit-il dans sa Déclaration au Comité Cen-
tral (Kievskaia Mysl du 2 août, n" 137).
Dès les premiers jours de son existence, le nouveau
cabinet manifeste son activité par des arrestations
d'hommes politique ukrainiens, par le rétablissement
de la censure, particulièrement sévère pour les jour-
naux ukrainiens, etc. La « République du Peuple
ukrainien » est débaptisée et nommée « Puis-
sance d'Ukraine ». Les gros agrariens et industriels se
sentent désormais maîtres absolus de la situation. La
réaction est partout, à tout moment. Aux postes et
aux emplois officiels, on commence à remplacer les
Ukrainiens par des dignitaires et des fonctionnaires
de régime tsariste, venus par trains entiers de Petro-
grad et de Moscou.
Dans le même temps, cependant, l'Hetman et ses
40 i;i.i X .\nm'.i;s i;n i kmai.m;
ministres aKiniu-nl partout la nrccssité de rallcrinir
rin(lé|)t>ii(iaiic(' |)()liti(|ii(' de l'ikiaim'.
Au cours d'une conversation avec le D' Leberer,
corres])on(lanl du Jicrlincr IdijcbUdl, le Hetniaii dit :
« Je crois que bien des gens, en Allemagne, me lon-
sidèrent comme réactionnaire et partisan résolu d'une
fédération avec la Grande Russie. C'est inexact. Toute
aussi erronée est l'intention que l'on me prête d'en-
glober de nouveau l'Ukraine dans l'ancien Empire
Russe ». {Kicvskaia Mijsl du 10 mai).
« L'Ukraine doit être un pays indépendant »,
déclare à son tour M. Vassilenko dans son discours au
Congrès du i)arti cadet (Kicuskaia Mysl du 11 mai).
Les mêmes idées sont développées par M. Lizogoub
dans le discours qu'il prononce à un banquet poli-
tique au cours duquel il déclare que son gouverne-
ment espérait, avec l'aide de l'Allemagne et en com-
munion avec la culture allemande, créer un Etat
ukrainien indépendant {Kieuskaia Mysl du 23 mai).
C'est encore d'une Ukraine « puissante » et indé-
pendante que parle le Hetman dans sa lettre officielle
au premier ministre M. Lizogoub (Kicvskaia Mysl du
9 juillet).
Du jour où M. Igori Nistiavoski devient ministre de
l'Intérieur, la réaction s'accroît encore davantage et
se manifeste d'une façon plus ouverte et plus déci-
sive. On arrête les gens et on les emprisonne
sur une simple suspicion ou sur une dénonciation.
GOUVERNEMENT DU HETMAN SKOROPADSKY 41
Le nombre d'arrestations atteint plusieurs milliers.
C'est ce même Nistiakovski qui, à l'instigation des
Allemands, prend des arrêtés d'expulsion contre
quelques F'rançais. Un jeune Ukrainien, ayant eu
vent qu'une mesure semblable se tramait, en
informe M. M. qui s'empresse d'en faire part à tous
ceux que l'expulsion pouvait atteindre. Sans y ajou-
ter une foi entière, chacun prend secrètement ses dis-
positions pour ne pas laisser sa famille dans le besoin
et le reste de la colonie dans le désarroi et l'isole-
ment. Aussi, quand les Allemands apportèrent l'ordre
d'avoir à quitter l'Ukraine dans les quarante-huit
heures, personne ne fut pris au dépourvu. D'ailleurs,
la mesure n'atteignit pas tous ceux qu'elle avait
d'abord menacés. Au nombre des expulsés furent
les consuls de Grèce et d'Espagne.
Ces arrestations et expulsions n'empêchent pas
d'ailleurs M. Nistiakovski d'affirmer que « l'Ukraine
s'est engagée, avec le concours de l'x^llemagne et de
l'Autriche, dans la large voie d'une existence indé-
pendante en tant qu'Etat » et que « le mouvement
puissant des paysans a fait de nouveau surgir le dra-
peau historique de l'indépendance ukrainienne : l'ins-
titution de Hetman ». {Kievskaia Mysl du 24 août, n"
142).
Le même M. Nistiakovski ne reconnaît pour langue
d'Etat, encore au commencement de septembre, que
la langue ukrainienne exclusivement (Kievskaia Mysl,
42 I)l-( V Wm'is i:N UKUAlNli
n" 153). De son côté, le llclman, au (liiu;r ollerl par
Von Kirbach, parle de l'armée ukrainienne à créer,
comme de la base (ruiu- puissance ukrainienne indé-
pendante (Kievskaia Mysl, n" 187).
De telles contradictions entre les déclarations
publiques du Hetman et de ses ministres au sujet de
Tindépendance ukrainienne et de l'idée nationale,
d'un ccMé, et leurs actes, de l'autre, seront comprises
aisément si l'on tient compte de la politique de dupli-
cité adoptée par le Gouvernement allemand et ses
agents vis-à-vis de l'Ukraine.
En assurant les Ukrainiens de leurs sympathies
pour l'idée d'indépendance de l'Ukraine, les réac-
tionnaires allemands pensent en réalité au rétablisse-
ment, avec le temps, d'une Russie réactionnaire unie
et forte. A Kiev, les partis de droite et les monar-
chistes, avec, à leur tête, M. Pourichkévitch, s'agitent
ouvertement dans ce sens. Il est hors de doute que les
milieux réactionnaires allemands sont en contact avec
eux et projettent des actions communes en vue de
remplacer les Bolcheviks en Russie par un régime
monarchiste réactionnaire.
Il semble que, vers la fin de son gouvernement, le
Hetman se soit émancipé de l'influence des réaction-
naires allemands. Mais c'est pour tomber sous celles
des réactionnaires russes. La preuve la plus éclatante
de ce fait est fournie par le retour au ministère de Nis-
tiakovski, auteur d'un projet censitaire réactionnaire
GOUVERNEMENT DU HETMAN SKOROPADSKY 43
pour les élections municipales et pro\inciales, et le
maintien au cabinet de Reinbot, connu pour les opi-
nions réactionnaires qu'il avait exprimées, alors qu'il
était fonctionnaire sous le régime tsariste à Petrograd.
Quant à la fermeté des opinions politiques du Het-
man et de la plupart de ses ministres, elle est élo-
quemment certifiée par la note de dix. de ces ministres,
à la date du 17 octobre, ainsi que par sa dernière
déclaration. Dans l'une comme dans l'autre, ces parti-
sans convaincus de l'indépendance se déclarent des
fédéralistes tout aussi convaincus. C'est que dans le
Cabinet des « Indépendants » tout comme dans celui
des « Fédéralistes » il n'y a point d'hommes poli-
tiques véritablement ukrainiens, exception faite de
M. Dorschevko. Ce sont des hommes que la peur des
Bolcheviks a fait enfuir de Petrograd et de Moscou,
et qui sont venus à Kiev; ou bien ils sont nés à Kiev,
mais demeurent étrangers aux aspirations nationales,
ignorants de la langue ukrainienne, de l'histoire et de
la culture ukrainiennes et se montrent hostiles à
l'idée de la régénération ukrainienne.
Il est impossible de s'imaginer un plus profond
piétinement des droits du peuple et un mépris plus
absolu du peuple lui-même. Des insurrections parti-
culières ont lieu sur tout le territoire ukrainien. Les
troupes allemandes qui comprennent plus de 500.000
hommes défendent très énergiquement les intérêts du
Hetman qui se confondent avec les leurs. Le sang des
44 DEUX ANNÉES EN UKRAINE
paysans et des ouvriers ukrainiens coule, l'artillerie
allemande rase des villages entiers. C'est un massacre
systématique de tout ce (jui veut rcstor ukrainien. La
création d'un gouvernement démocratique devient
pour l'Ukraine une question extrêmement urgente.
La patience du peuple est à bout. Tous les partis poli-
tiques se réunissent pour fonder contre les Alle-
mands et Skoropadsky une Ligue nationale qui
fomente un soulèvement général, renverse le Hetman
et établit un Directoire de cinq membres parmi les-
quels M. Petlioura, le futur généralissime de l'armée
ukrainienne.
Petlioura
Comme secrétaire général, ministre de la guerre,
membre et plus tard président du Directoire ukrai-
nien, Petlioura a joué et joue encore un si grand rôle
en Ukraine qu'il mérite bien quelques notes biogra-
phiques.
Rolchéviste pour les réactionnaires, réactionnaire
pour les Bolcheviks, Petlioura, le grand calomnié, est
pour le peuple ukrainien tout entier, le héros national,
le libérateur de l'Ukraine.
11 est né d'une pauvre famille de cosaques à Pol-
tava, en 1878. Après des études faites au séminaire
de sa ville natale, il reçut le brevet d'instituteur. Son
PETLIOURA 45
activité politique l'obligea à passer en Galicie où il se
familiarisa avec le mouvement nationaliste.
La première Révolution (1905) le trouva à Kiev où
tout de suite, il prit une part très active à la fonda-
tion du journal Rada, publié en langue ukrainienne,
tout en collaborant au Slovo, organe social démo-
crate.
Conduit par les circonstances à Petrograd, il con-
tinue sa collaboration aux journaux kiévois, s'occupe
activement du mouvement ukrainien et de la fonda-
tion du Club ukrainien.
A Moscou, où il se rend ensuite, il devient secré-
taire de rédaction de la revue mensuelle Ukrainskaia
Jisn, en langue russe, et participe à l'organisation de
la société musicale Kobsar. C'est par ignorance des
habitudes du peuple slave, que des adversaires de
Petlioura ont confondu son rôle dans cette société
musicale avec la profession d'artiste de café-concert
qu'il aurait exercée. En Russie, toute société, même
politique, organise parmi ses membres un orphéon ou
un orchestre, qui est mis à contribution dans des
soirées d'ailleurs très agréables offertes fréquemment
à tous les sociétaires et à leur famille.
Au commencement de la guerre de 1914, Petlioura
se rend sur le front pour y représenter le Zemsky
Soiouz et organiser des hôpitaux de première ligne.
C'est là que le trouvèrent la Révolution et le vote du
premier Congrès militaire ukrainien (jui le désigne
Ait ' DKL'X ANNr^KS FN rKKAIM.
comme présidciil du (loinitr géïK'-riil inililniir ukrai-
nien.
Au moment où la Rada centrale crée le Secrétariat
général comme organe exécutif, Potlioura devient tout
naturellement secrétaire général des affaires de la
guerre, puis ministre de la guerre quand le Directoire
se constitue, en juillet 1918. Toute l'activité de M. Pet-
lioura depuis la Révolution, peut se résumer en deux
mots : guerre aux ennemis de l'Ukraine, qu'ils soient
Allemands, Bolcheviks ou Polonais.
Skoropadsky et lEntente
Le 13 novembre, les journaux de Kiev annoncent
qu'un armistice vient d'être conclu sur le front fran-
çais.
Aussitôt, sur la demande du Consul du Danemark
et des partis ukrainiens, les portes de la prison de
Lukianovka s'ouvrent pour rendre à la liberté les
détenus politiques, parmi lesquels se trouvaient plu-
sieurs Français et quelques membres de la Rada, in-
ternés plusieurs mois auparavant j)ar les Allemands.
Le Hetman Skoropadsky, jusque là germanophile
convaincu, change de politique et devient francophile
très ardent. Il forme un nouveau cabinet et remplace
au Sous-Secrétariat des Affaires Etrangères le bureau-
SKOROPADSKY ET L'ENTENTE 47
crate russe Paltof, instrument des Allemands en
Ukraine, par M. Galip dont les sentiments francophi-
les sont connus de tous et dont toute l'activité, au cours
des derniers mois, s'est dépensée à susciter des
obstacles à l'occupation allemande. Espérant avoir
mis par ce changement la politique de l'Ukraine d'ac-
cord avec les vœux de l'Entente, il envoie des missions
diplomatiques à Jassy, près de la Commission inter-
alliée et à Odessa, près de M. Henno, représentant des
Alliés sur les bords de la Mer Noire.
La presse au service du Hetman reçoit l'ordre d'en-
tonner l'hymne aux Alliés et plus particulièrement à
la France : ce fut chaque matin le dénombrement des
navires de guerre qui paraissaient à l'Jiorizon, à la
sortie du Bosphore, et des divisions anglaises et fran-
çaises qui débarquaient à Novorossiisk, à Sébastopol
et à Odessa, des divisions roumaines et polonaises qui
se massaient aux frontières de l'Ukraine pour la
défendre, d'une part contre les « bandes » de Pet-
lioura qui s'avançaient de la Galicie et les « bandes »
lettonnes et chinoises au service des Bolcheviks russes,
qui. venaient de l'Est et dn Nord-Est.
En même temps, l'armée des Volontaires se compte
et fait des enrôlements, réquisitionne édifices, vête-
ments, chaussures et aliments et bientôt décrète la
mobilisation générale, d'abord de la jeunesse des Uni-
versités et des Gymnases, puis de toute la jeunesse
du pays non encore occupé par l'armée de Petlioura.
48 UEl X ANNKKS KN IKMAINi;
Le premier décret fait des mécontents parmi les
étudiants qui projettent de se réunir à ITniversité
pour étudier la situation. La réunion est interdite. Sans
tenir compte de cette interdiction, les étudiants et les
étudiantes forment un cortège et veulent se rendre
par Bihikovski Boulevard à l'Université Saint-A'ladi-
mir, mais un groupe de volontaires à cheval accourt
et sans sommation aucune, tire sur le cortège. Bilan
de la journée : quatorze morts dont trois cursistes
(étudiantes) et une trentaine de blessés.
Le second décret affecte surtout la population
Israélite qui manifeste son mécontentement en fer-
mant ses magasins, en boycottant les valeurs russes
et, autant qu'elle le peut, en faisant filer les jeunes
gens à Vienne et à Budapest, les seuls endroits encore
accessibles aux voyageurs venant de l'Ukraine.
On annonce officiellement que des missions mili-
taires alliées vont arriver à Kiev et que M. Henno
viendra s'établir près du Hetman. On réquisitionne
l'hôtel Continental (encore habité par des Allemands)
pour héberger les missions, et deux étages d'une mai-
son sise rue Luteranskaia, n" 40, pour M. Henno. Il
convient aussi de bien loger les nombreux soldats
français qui vont arriver : alors on réquisitionna les
théâtres, les salles des cafés-concerts et les cinémas;
pour les recevoir comme ils le méritent, des comités
s'organisent, des souscriptions sont ouvertes et le ^^l-
nistère des Affaires Etrangères informe par la voie
ENCERCLEMENT DE KIEV 49
des journaux qu'un personnage officiel a été désigné
pour élaborer avec le concours des comités le pro-
gramme de la réception, d'abord du Consul M. Henno,
puis du Général Franchet d'Esperey et de son Etat-
Major, des Etats-Majors alliés, enfin des troupes fran-
çaises, anglaises, roumaines, italiennes et polonaises
qui « viennent soutenir l'armée des Volontaires con-
tre les troupes de Petlioura et celles des Bolcheviks v.
La Colonie française ne veut pas rester en arrière.
Elle ouvre une souscription et aussitôt chacun se
met à l'œuvre pour que la réception des poilus soit
le plus grandiose possible : l'argent afllue, des dra-
peaux, des fleurs, des guirlandes sortent des doigts
dilii^ents de toutes les Françaises.
Encerclement de Kiev par l'armée
de Petlioura
Dans ce ciel serein, des coups de canon se font tout
à coup entendre : il paraît que Petlioura a réuni
autcnir de lui des < bandes de pillards et de bandits ^>,
— c'est ainsi que s'exprime la j)resse, — qui vou-
draient s'emparer de Boïarka. En réalité, ce sont les
recrues qui ont répondu à la mobilisation décrétée
par Pellioura et la Ligue Nationale. Autour de ce
novau. au tur et à mesure de son avanre en Ukraine,
50 i)i:ux ANM':r:s r:\ ikf^mne
les paysans se rassemblent pour conibaltrc contre
Skoropadsky. L'I'kraine pres(|iie toute entière est déjà
reconquise i)ar son « Libérateur >■, et ce n'est pas à
Boïarka que le canon tonne, mais aux environs de
Swetocliine. L'encerclement de Kiev est d'ailleurs
bientôt si total, que les paysans n'y entrent plus j)our
l'approvisionner.
Les aliments de première nécessité se vendent à des
f)rix inconnus jusqu'à ce jour : le pain devient rare et
vaut 3 roubles la livre le pain gris, 10 roubles le pain
blanc, les œufs 38 roubles la dizaine, le lait 3 roubles
le petit verre, la viande 7 roubles la livre, le beurre
de table 80 roubles, le beurre de cuisine 50 roubles, et
toutes ces denrées de première nécessité sont presque
introuvables.
Le canon tonne de plus en plus fort, les mitrail-
leuses se mettent de la danse. L'émoi devient grand
dans Kiev oi^i chacun revit les heures sombres du
bombardement des Bolcheviks. La presse, elle, est
optimiste et le Hetman fait afficher sur les murs de
Kiev, deux proclamations de M. Henno au peuple
de l'Ukraine. Il y est dit que le Gouvernement fran-
çais reconnaît l'Ukraine telle qu'elle est alors consti-
tuée, et qu'il fait confiance au Hetman et aux nou-
veaux ministres qu'il vient de se choisir.
Si elles ne sont pas apocryphes, ces deux procla-
mations laissent supposer que le Gouvernement de la
République française condamne la République ukrai-
ENCERCLEiMENT DE KIEV 51
nienne et ne veut voir à Kiev, comme dans le reste de
la Russie qu'un seul Gouvernement, le Gouvernement
monarchiste de Skoropadsky.
L'effervescence est grande en \i\\e et les réflexions
échangées entre les lecteurs très nombreux de ces pla-
cards, lecteurs appartenant à toutes les classes et à
tous les partis, ne sont nullement en faveur du repré-
sentant de la France et, partant, de la France elle-
même. Les Français qui vivent à Kiev depuis un cer-
tain nombre d'années, et qui de ce fait, sentent mieux
que d'autres, aveuglés par leurs sympathies ou leurs
intérêts, battre le cœur ukrainien, ceux qui ont vu la
marche rapide du nationalisme de ce peuple, sont
convaincus que leur gouvernement ou du moins son
pseudo-représentant commet une lourde faute. Ils con-
damnent hautement celui qui se dit Consul de France
à Odessa. Ni le ton, ni la forme de ces proclamations
ne sont d'un républicain; le style ne peut être que
d'un monarchiste, ou d'un républicain au service des
intérêts monarchistes.
Les nombreux agents allemands ne manquent pas
d'exploiter ce fait contre la France; ils s'en servent
aussitôt dans les campagnes pour détruire dans le
cœur des paysans la sympathie naissante pour les
vainqueurs de la Marne et de Verdun. Aussi les Fran-
çais, presque tous sympathiques au mouvement
ukrainien, répandent sous le couvert du manteau (pie
ces proclamations ne peuvent être rédigées que par le
62 DEUX ANNÉES i:n t ki!\im:
HeliiKiii liii-inc'inc, :ifin d'élayer une caiisc dc'-jà chan-
celante.
L'impression produite par ces deux proclamations
diminuanl un ])cu, un nouxcau grand j)lacar(l annon-
ce aux liabitants de Kiev, d'une phrase brève, mais en
gros caractères, qu'Enno venait d'être nommé Con-
sul de France à Kiev et que Franchet d'Esperey pre-
nait le commandenianl des troupes françaises qui
allaient opérer en F k raine.
Prise de Kiev par Petlioura
Toutes ces proclamations et tous ces placards n'em-
pêchent pas Petlioura et son armée de faire leur
entrée à Kiev quelques jours plus tard, le 14 no-
vembre, au milieu des acclamations d'une foule
enthousiaste. Au même moment, d'un autre côté de la
^111e, une troupe de volontaires, 300 en\iron, sortait
pour s'en aller rejoindre vers le sud l'armée de Deni-
kine. Les autres officiers de l'armée des Volontaires
rentrent chez eux, ou s'enferment à l'hôtel François,
pour y attendre les événements. Les jeunes gens des
trois dernières classes des gymnases qui avaient été
mobilisés pour maintenir l'ordre dans la ville, revien-
nent au sein de leur famille et reprennent leurs études.
On s'attendait à des représailles contre les officiers
PRISE DE KIEV PAU PETLIOURA 53
volontaires et à un pillage de la ville (les journaux du
Hetman avait annoncé que Petlioura, pour entraî-
ner ses « bandes » à l'assaut de Kiev, leur avait promis
dans un ordre du jour de leur livrer la ville pendant
trois jours). Il n'en est rien. Le nouveau Gouverneur
de Kiev prend les mesures les plus énergiques pour
assurer la tranquillité et surtout le ravitaillement de
la population affamée depuis un mois. Aux familles
des officiers et aux consuls qui l'interrogent, il
affirme qu'aucune exécution ne sera faite avant que
le procès de chaque officier ne soit instruit et une
sentence prononcée. En attendant le procès et la sen-
tence, les coupables et les suspects sont enfermés au
Musée pédagogique d'où 18 sur 7 à 800 sortent pour
subir la peine prononcée contre eux « pour avoir com-
mandé des fusillades d'Ukrainiens et organisé des
corps de troupe pour combattre contre les armées de
la République ukrainienne ».
Le Directoire et les Représentants de l'Entente
Le premier soin de Petlioura dont les sentiments
francophiles ne sont douteux pour aucun de ceux qui
le connaissent, est d'organiser le Directoire et d'adres-
ser une note au Représentant des Alliés à Odessa poui-
lui demander les raisons qui avaient amené l'Entente à
54 DEUX ANNi':i;s i:n ikhaini:
débarquer ses régiments sur le territoire ukrainien
sans prévenir le Gouvernement du pays. En même
temps, les troupes ukrainiennes qui se sont portées
vers Odessa et occupent en partie la ville exigent que
les troupes de Denikine se retirent. Celles-ci refusant,
un combat s'engage, mais voyant des soldats français
dans les rues, pour éviter un conflit avec l'Entente, le
commandant ukrainien cesse les hostilités et se retire
à Razdielnaia, où vient cantonner, à côté des Ukrai-
niens, une compagnie de zouaves avec quelques pièces
d'artillerie de montagnes.
Deux délégations partent de Kiev ; l'une dont fai-
sait partie M. Sydorenko, actuellement président de la
Délégation ukrainienne à la Conférence de la Paix,
pour Jassj^ ; l'autre, pour Odessa où déjà se trouvent
les délégations du Don, de Kouban et de la Ru-
thenie Blanche. Elles veulent unir leurs efforts
pour trouver un terrain d'entente avec les Alliés. Mal
informées, les autorités militaires françaises prennent
des mesures pour que la délégation d'Odessa ne puisse
repartir pour Kiev, ni communiquer avec le Direc-
toire.
Sans nouvelle de ses deux délégations, le Direc-
toire s'inquiète de l'invasion bolchéviste qui menace
l'Ukraine : déjà des bandes de Chinois et de Lettons
à la solde de Lénine opèrent des dépradations à
Bogoutchar, puis à Koupiansk. Renforcés de Bolche-
viks réguliers, elles avancent vers Karkov. Le Direc-
LE DIKliCTOIRE ET L ENTENTE OD
toire envoie une délégation à Moscou, demander des
explications. Il lui est répondu que Moscou n'est pas
en guerre avec l'Ukraine et que les bandes signalées
n'ont rien de commun avec les Bolcheviks réguliers.
Connaissant la situation très précaire de l'Ukraine
placée entre le feu des Polonais à l'ouest, l'armée de
l'Entente qui débarque à Odessa sans dire dans
quelles intentions, et les Bolcheviks qui viennent du
nord et de l'est et sachant qu'au sein du Directoire,
tous les membres ne sont pas contraires à une alliance
avec la République des Soviets, ceux-ci nomment une
délégation qui part de Moscou pour Kiev. Mais elle
est arrêtée à Orsha, le Directoire ne l'autorisant pas à
pénétrer sur le territoire ukrainien tant que les
troupes soviétistes n'auront pas été retirées au delà
de la frontière ukrainienne.
Une nouvelle délégation composée de MM. Matsie-
vitch et Margoline, part pour Odessa dans le but de
demander aux Alliés leur secours contre les Bolche-
viks. Elle n'obtient aucun résultat.
Pendant ce temps, les troupes bolcheviques bien
instruites, bien disciplinées et bien armées avancent
en Ukraine dont elles veulent à tout prix s'emparer
avant l'avance des armées de l'Entente.
Ne recevant aucune nouvelle d'Odessa, ni de la pre-
mière ni de la deuxième délégation, le Directoire en-
voie à Birsula, pour hâter les pourparlers et sauver
Kiev, MM. Ostapenko, ministre du Commerce et Gre-
56 i)i:rx \nm':i;s i.\ i kmaiM':
kov, ininislre de la riucrre i\u\ se reneontrenl avec ie
colonel Frevdeiiher.'^, cher d'Elat-Major du j^éiiéral
d'Anselme, le capilaiiie Lan^eron et le lieutenant \'il-
lainc. Les ])ourparlers donnent lieu à un échanj^e de
télégrammes entre le commandement français d'O-
dessa et le Directoire de Kiev à la suite du(juel le (iou-
vernement ukrainien accepte toutes les propositions
([ui lui sont faites à rexcei)tion d'une seule : le renvoi
à Odessa des agents germanophiles et des anciens
ministres arrêtés pour crimes de lèse-nation envers
l'Ukraine et pour délit de droit commun et de ce fait
déférés devant un tribunal composé de douze juges
ayant tous exercé leurs fonctions sous l'ancien ré-
gime.
Parce que cette clause n'est pas acceptée, les pour-
parlers sont immédiatement interrompus et l'Ukraine
est laissée dans la situation la plus poignante. Soup-
çonnée de Bolchévisme, alors qu'elle s'épuise à le com-
battre, elle voit depuis ce jour les meilleurs de ses fils
mourir sous les balles de ceux qui devraient seconder
sa bravoure et sa courageuse défense.
MON RETOUR EN FRANCE 57
Mon retour en France
L'arrivée ])rochaine des Bolcheviks à Kiev, m'oblige
à mettre les miens en sécurité et me fait songer à
revenir en France. D'autant plus que quelques jours
avant, M. Cerkal, le courrier de M. Henno, qui faisait
depuis un mois la navette entre Odessa et Kiev, m'avait
informé qu'il fallait renoncer pour l'instant à toute
nouvelle œuvre de propagande française et même à
celles déjà existantes. Il ne reste d'ailleurs presque
plus de Français, ni de Françaises dans la capitale
ukrainienne.
Parti de Kiev, le 26 janvier, j'arrive le 3 février à
Odessa où je peux, après bien des difficultés, bien des
démarches et bien des refus, m'embarquer, à mes
propres frais, naturellement, le 24 février, avec ma
femme, et mon bébé de deux ans, sur le pont d'un
navire, le Tigris, qui me dépose à Salonique le 27.
Je dois faire dans cette ville à demi ruinée un séjour
de huit jours, avant de pouvoir me faire admettre à
bord du Criti qui me jette dans l'île déserte de Saint-
Georges, près du Pirée, sous prétexte qu'ayant voyagé
avec des Grecs, je dois être contaminé. Le médecin de
l'île qui surveille la construction du lazaret où je de-
vais être hébergé, me fait monter à 11 heures du soir
sur un chaland (jui me débarque, ma femme, mon
58 DKix ANNi^:i:s en ukraini:
bébé (i uru' In mille belge, à 2 heures du iinitin, sur le
quai (lu Pirée.
Aj)rès de multiples démarches à Athènes et au Pi-
rée, près de la base navale de ce port et près du (Con-
sulat, je prends place, toujours sur le ponl, sur Vlmpe-
ratul Trajan, vapeur roumain all'rété par le gouver-
nement français pour le transport des troupes fran-
çaises de Roumanie, et après un arrêt de deux jours
à Messine, je foule enfin le sol de ma patrie le 19
mars, cinquante-deux jours après mon départ de
Kiev.
IP PARTIE
L'UKRAINE
L'Ukraine se compose des territoires des anciens
Empires russe et austro-hongrois et comprend les
gouvernements de Tcliernigov, Poltava, Kliarkov,
Ekaterinoslav; une partie fie Koursk; les districts de
Voronèje, de Taganrog et de Rostof; les gouverne-
ments de Kouban, de Tchernomore, de Tauride (y
compris la Grimée) et de Kherson; la partie ukrai-
nienne de Bessarabie, c'est-à-dire les districts de Kho-
tin et d'Akkermann, ainsi qu'une partie des districts
d'Ismaïl, d'Oriev et de Sorop; les gouvernements de
Podolie, de Kiev, de Volhynie; la Galicie Orientale
jusqu'à la rivière San; la Bukovine ukrainienne et la
Hongrie ukrainienne avec les régions Lemke, Cliolm,
Podlakie et Polissie.
Ces territoires s'étendent du 20* longitude orien-
tale de Greenwich au 42", et du 44° latitude septen-
trionale au 53", c'est-à-dire qu'ils ont une largeur de
60
I. llvltAIM-:
600 kilomètres et mu- longueur d'à peu pirs 1 .000
kilomètres.
Leur superficie dont le centre est situé près de la
ville de Krementchoug, dans le gouvernement de Pol-
tava, est d'environ 850.000 kmq.
Frontières
L'Ukraine est bornée au nord, par la Russie Blan-
che et la Grande Russie; à l'est, par le Don et le Cau-
case; au sud, par la mer d'Azov et la Mer Noire et à
l'ouest, par la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la
Pologne.
Elle n'a j)as de limites naturelles nettement défi-
nies, surtout à l'est, et dans une partie de sa frontière
orientale; mais elle est d'une autre formation que les
pays limitrophes dont elle difîère essentiellement par
son origine géologique et les éruptions volcaniques.
Orographie
Le sol de l'Ukraine est généralement plat et forme
les immenses steppes qui se déroulent à perte de vue.
Néanmoins, on peut le diAiser en trois régions : la
OROGRAPHIE 61
région des montagnes, la région des plateaux et la ré-
gion des plaines.
Montagnes. — Les montagnes sont : au sud, les
Monts de Grimée, au sud-est, le Caucase et à l'ouest,
les Carpathes,
Les Carpathes jouent le plus grand rôle dans la
vie du peuple ukrainien, non seulement à cause des
immenses richesses forestières et pétrolières (région
de Drogobetch), mais parce qu'elles abritent les races
montagnardes qui s'appellent les Lemkés, les Boïkés
et les Goutzoubés.
Le Caucase joue également un rCAe, mais à un degré
moindre, car si ses flancs sont couverts de vastes forêts
et contiennent un abondant pétrole (région de Maï-
kop), les Ukrainiens y vivent mêlés à d'autres popula-
tions, différentes de langue et de nationalité, les Tar-
tares par exemple.
Les Monts de Crimée, aux pieds desquels se trou-
vent de vastes et riants jardins, voient chaque au-
tomne mûrir sur leurs lianes un raisin délicieux qui
fournit des vins presque aussi renommés que les
meilleurs crûs français.
Plateaux. — Les plateaux de l'Ukraine partent des
bords de la Mer Noire et se dirigent vers l'est et
l'ouest, séparés les uns des autres par de profondes
vallées.
62 i.'lkuaink
Les plateaux occidentaux s'étendent en Podila, de
la vallée du Dniester à celle du Bog, puis passent en
Pocoutia, entre le Dniester et le Boug et se terminent
dans la Dobroudja. Entre le Boug et le San, ils pren-
nent le nom de Kostotcha et entre le Boug, le Teteref
et le Pripet, celui de Volhynie; puis ils rejoign»ent
les plateaux du Dnièpre qui se déroulent entre le Te-
teref, le Dnièpre et le Boug.
Les plateaux orientaux se trouvent entre le
Dnièpre et le Donetz et sont très riches en charbon et
en minerai.
Tous ces plateaux, appelés « plateaux de la Mer
Noire », n'atteignent pas 500 mètres d'altitude; leur
moyenne est de 300 mètres au-dessus du niveau de
la mer. Ils forment ce que l'on appelle la « terre noire »
et sont très fertiles, sauf au nord où l'on trouve du
sable et de l'argile. Ils sont également très boisés et
les forêts y occupent de vastes étendues.
Plaines. — Les plaines de l'Ukraine partent de
la Pidlassia, ligne de partage des eaux du Boug et du
Pripet, et s'étendent jusqu'à la Rostotcha et la Polissia,
vers le bassin du Pripet. La plaine qui se déroule sur la
rive gauche du Dnièpre se termine aux cataractes de
ce fleuve.
Les plaines méridionales de la Mer Noire s'étendent
entre le plateau de Podolie, le plateau du Donetz,
l'embouchure du Don et celle du Donetz. La partie
HYDROGRAPHIE 63
septentrionale de cette plaine est couverte de sable,
de marais, de tourbe et, en certains endroits, de vastes
forêts. Jadis, il y avait là un grand lac. Près du Dniè-
pre, les terrains sont variés : le sable s'y trouve à côté
d'un humus très fertile, mais parfois en est séparé par
des steppes; sur les rives mêmes du fleuve, on voit des
prairies et des terrains marécageux.
Hydrographie
Fleuves. — Les montagnes de l'Ukraine, ses pla-
teaux et ses plaines sont sillonnés par des cours
d'eaux nombreux et très variés. Les uns descendent
de montagnes très escarpées, les autres roulent leurs
eaux le long de plateaux verdoyants, quelques-uns en-
fin semblent sommeiller au milieu de l'immensité des
plaines. Tous se déversent dans la Mer Noire ou la
Mer d'Azov.
Les fleuves ukrainiens tributaires de la Mer Noire
sont le Dnièpre, le Dniestre et le Bog.
Le Dnièpre est le lleuve le plus important, non seu-
lement par la longueur de son cours, mais aussi par
le rôle important qu'il a joué dans l'histoire du peuple
ukrainien et ([u'il est appelé à jouer à l'avenir. C'est
sur sa rive droite que se trouve Kiev, la capitale de
l'Ukraine.
04 i/i KiiAiM-;
Il i)r('iul sa source en Kiissie Hhmclie cl enlrc en
Ukraine alors que ses eaux sont déjà abondantes :
à Kiev son lit atteint 8ô0 mètres de largeur. Dans
son cours inférieur, en aval d'Ekaterinoslav, des ro-
chers de i^ranit se dressent dans son lit et rornienl
des cascades qui se continuent sur une distance de
53 kilomètres, jusqu'à Alexandrovsk, empêchant
toute navigabilité sur ce long parcours. Kiev est donc
de ce fait, empêché de toute communication fluviale
avec les ports de la Mer Noire. Mais si comme le font
esj)érer les travaux déjà commencés, un canal rend
navigable cette partie du Dnièpre et si, d'autre part,
on sait utiliser les énergies des cascades (houille
blanche), l'avenir commercial de l'Ukraine s'ouvrira
sur les horizons les plus vastes, car alors Kiev et Ker-
son seront reliés en ligne directe.
Le Dnièpre est par sa longueur le 3 lleuve de l'Eu-
rope : il a 2.100 kilomètres, dont plus de 1.500 en
Ukraine et navigables.
Les affluents du Dnièpre sont : sur la rive droite,
la Beresina, le Pripet grossi du Ster et du Sloutch, le
Teteref et la Stouna; sur la rive gauche, la Desna
grossie du Seym, la Soula, le Psiol, la Vorskha, l'Orel
et la Samara. Le bassin du Dnièpre comprend la
moitié du territoire ukrainien.
Le Dniestre prend sa source dans les Carpathes
ukrainiennes. Son cours est de L300 kilomètres. Ses
affluents sont, sur la rive droite : la Bistritsa, le Strei,
HYDROGRAPHIE 65
la Suitcha, la Limnitsa, la Vorona; sur la rive gauche:
le Strviage, la Veresistsa, l'Enela et Solotalipa, le Se-
reth, le Zbroutch, le Smotritch et l'Iaorleg.
Le Bog qui coule en Podolie a pour affluent la Se-
gnouka et l'Ingoul.
Le Don, fleuve de l'Ukraine orientale, a pour af-
fluents le Voronège, le Manetch, le Donetz et le Bak-
nout. Il se jette dan-s la Mer d'Azov.
Le Kouban prend sa source dans les monts du Cau-
case et, grossi de la Laba et de la Bila, déverse ses
eaux qui ont arrosé une vaste plaine, par deux em-
bouchures, l'une dans la Mer d'Azov, l'autre, dans la
Mer Noire.
Lacs. — Il y a très peu de lacs en Ukraine. Au nord,
en Polissya, se trouvent les lacs Kniaz, Veganovski;
dans le Kouban, le lac Maneth; près d'Odessa, le
lac Bile; près du Dnièpre, le lac Kaoukové; près du
Donetz, le lac Soloné; dans les montagnes des Carpa-
thes, le lac Chebené qui a 850 mètres de long et 200
mètres de large. Dans les Carpathes et en Polissia,
il y a encore quelques lacs qui ont jusqu'à 40 kilomè-
tres de long et 10 de large.
Mers. — L'Ukraine est baignée au sud par la Mer
Noire et la Mer d'Azov.
La Mer Noire a joué autrefois un grand rôle dans
l'histoire du peuple ukrainien. Grâce à elle, il a pu
66 l'ukraink
entretenir dos relations commerciales avec l'Etat by-
zantin et développer ainsi sa civilisation et son édu-
cation. Aujourd'hui, elle peut jouer un rôle impor-
tant, non seulement pour l'Ukraine, mais pour nombre
d'autres Etals ([u'elle mettra en relation directe avec
l'Europe méridionale et l'Europe occidentale.
La Mer d'Azov n'est qu'une partie de la Mer Noire
dont elle est séparée par la presqu'île de Crimée et
avec laquelle elle communique par le détroit de
Kertch.
Ports. — Les principaux ports que l'Ukraine pos-
sède, tant sur la Mer Noire que sur la Mer d'Azov,
sont: Odessa, Nikolaïev, Kherson, Sébastopol, Théodo-
sie, Mariopol, Berdiansk, Taganrog, Novorossiisk et
beaucoup d'autres de moindre importance.
Par ces ports, l'Ukraine importe une grande quan-
tité de marchandises et de produits manufacturés et
exporte son blé, son charbon, ses minerais, son sucre,
etc..
Villes principales
Les principales villes de l'Ukraine sont : Kiev, ca-
pitale, dont la population actuelle s'élève à plus d'un
million; Odessa (800.000 h.), grand port de commerce
sur la Mer Noire; Lvov (Leopol) (400.000 h.), centre
CLIMAT 67
principal de l'Ukraine occidentale; Kharkov (350.000
h.), centre principal de l'Ukraine orientale; Ekateri-
noslav (300.000 h.), centre principal de l'Ukraine mé-
ridionale; Rostov (250.000 h.), grand port commercial;
Ekaterinodar (200.000 h.), centre principal du Kou-
ban; Kherson, Nicolaïev, Sébastopol, Cernovitz, Kre-
mentshoug, Vinitza, Berditchev, Soume, Elisabeth-
grade, Jitomir, Nijin, Simferopol ont de 100 à 150.000
habitants. Les autres grandes villes ont une popula-
tion qui s'élève de 50 à 100.000 habitants.
Climat
Le climat de l'Ukraine est franchement continen-
tal. Les étés et les hivers sont plus chauds et plus
froids que dans les Etats de l'Europe occidentale et il
existe une très grande dilTérence entre la tempéra-
ture du jour et celle de la nuit. C'est un des climats
du monde le meilleur et le plus sain; et il serait encore
meilleur si les Carpathes n'offraient pas un obstacle
aux vents chauds de l'ouest et si l'Ukraine était ga-
rantie des vents froids de l'est qui apportent avec eux
la sécheresse et les gelées. Les vents de l'est rendent
l'atmosphère de l'Ukraine plus sèche que celle de
l'Europe occidentale, surtout dans les régions situées
sur la rive gauche du Dnièpre. Quant aux régions de
L UKRAINE
la rive droite, elles jouissent du même climat que l'Ita-
lie. L'Ukraine passe insensiblement d'une saison
à l'autre. Le printemps est court mais plus beau et
plus chaud que dans les autres pays; il cède la place,
presque sans qu'on s'en aperçoive à l'été qui est chaud
et dure de 3 à 4 mois. Celui-ci est remplacé par l'au-
tomne, un peu tiède, auquel succède l'hiver qui dure
de 70 à 80 jours sans trop de rigueur.
Importance de l'Ukraine
La situation géographique de l'Ukraine qui s'inter-
pose entre la Moscovie et la Mer Noire, entre l'Orient
et l'Occident, lui confère une grande importance po-
litique.
Pendant des siècles, l'Ukraine a dû se défendre con-
tre les guerres d'envahissement des Mongols, des
Tartares et des Turcs et s'attirer par là quelque mé-
rite dans l'histoire de l'Europe. Actuellement, elle est
et peut continuer d'être, si des armes et des munitions
lui sont accordées, une barrière contre le bolchevisme.
Pour l'avenir, elle peut être l'obstacle infranchissable
aux visées allemandes qui n'ont certainement pas re-
noncé à leur expansion économique vers la Perse, les
Indes et le Japon.
Mais rimportan«e de l'Ukraine résultesurtûiit^de
PRODUCTIONS DU SOL 69
ses richesses naturelles qui sonMrès abondantes : son
sol et son sous-sol offrent à l'exploitation agricole et
industrielle des possibilités presqueJlHmitées.
Productions du sol
L'agriculture est la principale occupation de la po-
pulation ukrainienne.
D'après les statistiques officielles, la population ru-
rale s'adonnant à la culture de la terre en Ukraine,
serait de 85 0/0, c'est-à-dire qu'en Ukraine, il y aurait
34.200.000 habitants se livrant à l'agriculture. La den-
sité de la population agricole de l'Ukraine serait donc
sur un kilomètre carré de 46,7, alors qu'en Allemagne
cette même densité est à peu près de 50 et en France
inférieure à 50.
La raison en est peut-être l'excellente fertilité de
la terre dont les 3/4 sont formés de terre noire ou
terreau de toute première qualité. Aussi la surface
cultivée est-elle de 45 millions d'hectares, c'est-à-dire
53 0/0 de tout le territoire ukrainien, alors que pour
toute la Russie européenne, ce pourcentage n'est que
de 26,2. Cette proportion de terre cultivée varie sui-
vant les régions ; elle est pour Khcrson de 78 0/0 ;
Poltava, de 75 0/G, Koursk, 74 0/0; Kharkov, 71 0/0;
Voronège et Ekaterinoslav, de 69 0/0; Podolie et
Tauride, de 64 0/0; Kiev, 57 0/0; Tchernigov, 55 0/0.
70 L'UKRAINE
Il est diilicile de savoir le chilîre exact de la pro-
duction agricole de l'Ukraine. Cependant, on peut dire
que la moyenne annuelle était au cours des années
1911-1915 de 275.000.000 de quintaux de céréales
(froment, seigle, orge) 100.000.000 de quintaux de bet-
teraves à sucre, 60.000.000 de quintaux de pommes
de terre, 87.000.000 de kilogrammes de tabac,
6,000.000 de quintaux de graines oléagineuses,
LOOO.OOO de quintaux de chanvre, 600.000 quintaux
de lin. L'Ukraine surpasse par sa production de cé-
réales tous les autres pays de l'Europe.
' Les méthodes agricoles des paysans ukrainiens
sont des plus primitives et ne diffèrent en rien de
celles employées il y a cent ans. Aussi, il n'est nulle-
ment douteux que le jour où l'Ukraine fournira à ses
cultivateurs le moyen d'intensifier leurs cultures par
des procédés plus modernes, la production agricole
sera plus que décuplée. Dès que la vie normale aura
repris son cours dans ces vastes steppes, les machines
agricoles et les instruments aratoires y seront achetés
en grande quantité et l'on y verra alors des moissons
de plus en plus abondantes et des récoltes pouvant
satisfaire les besoins, même de l'Europe occidentale.
En même temps que le seigle, le froment et l'orge,
les paysans ukrainiens cultivent l'avoine, le millet,
le sarrasin, les pommes de terre, les pois, les lentil-
les, le tabac, et les betteraves à sucre.
PRODUCTIONS DU SOL 71
La sylviculture n'est pas encore très développée en
Ukraine. La superficie boisée ne dépasse pas 110.000
kilomètres carrés, c'est-à-dire 13 0/0 de la superficie
totale, alors qu'en France ce pourcentage est de 15,
en Allemagne de 25,9, en ancienne Hongrie de 27,4,
en ancienne Autriche, de 32,7 et en Russie de 38,8.
La principale cause se trouve dans le fait que le ter-
ritoire ukrainien est formé surtout de vastes steppes
plus propres à l'agriculture qu'à la sylviculture.
Les régions les plus boisées sont la Bukovine avec
42 0/0 (district de Kimpolung 78 0/0) la Polissya avec
38,2 0/0, la Volhynie avec 29,6 0/0, la Galicie avec
25,4 0/0 et Grodno avec 25,5 0/0.
En 1900, la Galicie a fourni 3.660.000 mètres cubes
de bois ouvrable et une quantité à peu près égale de
bois de chauffage, dont un million et demi a été ex-
porté. L'exportation de bois de la Polissya est annuel-
lement d'environ 900.000 mètres cubes.
Mais lorsque le peuple ukrainien aura été doté
d'une réforme agraire qui présidera à une meilleure
répartition des terres, il ne fait aucun doute que la
sylviculture sera l'objet d'un très grand développe-
ment; elle deviendra plus rationnelle et l'Ukraine
ouvrira un marché de bois mieux fourni et plus avan-
tageux.
La culture maraichèrc est peu développée en Ukrai-
ne. Si l'on en excepte les petits potagers qui se trou-
72
L l'KHAIM-:
vent derrière eli;u|ue maison et les champs de melon
dans les steppes, on ne voit pas de grandes cultures
maraîchères, même dans le voisinage des grandes vil-
les, sauf dans les régions de Tchernigof, d'Odessa et
sur le Dniè])re, dans l'ancien pays de Zaporogs (01e-
shki, etc...). Là seulement les légumes sont cultivées
sur une grande échelle tant pour l'exportation que
pour les besoins locaux.
Mais, comme pour la sylviculture, dès que la loi
agraire aura donné à chaque paysan le lopin de terre
auquel il a droit, beaucoup de cultivateurs s'efïorce-
ront de tirer de cette culture tous les bénéfices qu'elle
X>eut leur donner.
h'arboriciilliire par contre, s'y fait sur une assez
vaste échelle. En Podolie, les vergers seuls représen-
tent une surface de 26.000 hectares avec une produc-
tion d'environ 300.000 quintaux de fruits et 8.000
quintaux de noix et d'amandes. Mais c'est à lalta, en
Tauride, que la production annuelle atteint le chif-
fre le plus élevé : elle dépasse 260.000 quintaux de
fruits et 40.000 quintaux de noix. C'est dans cette ré-
gion que l'on trouve les plus belles espèces de pom-
mes, de poires, de prunes, de pêches, d'abricots et en
général les meilleurs fruits de toute l'Europe.
Dans les régions de Kiev et de Volhynie, on trouve
les espèces de pommes et de poires des pays septen-
trionaux, et de délicieuses cerises. Les environs de
PRODUCTIONS DU SOL 73
Kherson et d'Ekaterinoslav et toute la vallée du Dniè-
pre produisent des abricots renommés. La région de
Kherson possède également de nombreux vignobles
dont la superficie totale est d'environ 7.000 hectares;
mais la plus riche en raisin est la Tauride, dont la
production de vin est annuellement de 250.000 hecto-
litres. Le sud de l'Ukraine donne bon an, mal an, envi-
ron 1.000.000 de quintaux de raisin fournissant près
de 500.000 hectolitres de vin.
L'Apiculture est très en faveur chez les paysans
ukrainiens. La production totale annuelle de l'U-
kraine (sans la Galicie) était en 1910 de 125.000 quin-
taux de miel et de 13,700 quintaux de cire, c'est-à-
dire 38 et 34 0/0 de la production totale de l'ancien
Empire russe.
Les principaux centres d'apiculture sont le Kouban
avec 326.000 ruchers, Poltava avec 305.000, Tcher-
nigof avec 283.000, Kharkof avec 246.000, Kiev avec
242.000, la Volhynie et la Podolie avec chacune
206.000.
L'élevage de bétail se fait tout à fait en grand en
Ukraine. On peut évaluer sa richesse en bétail à 26
millions de têtes. Les principaux centres d'élevage
sont en Tauride et dans le Kouban : En Tauride, il y
a pour 1.000 habilants 300 chevaux, 280 bêtes à cor-
nes, 620 moutons, 110 porcs et dans le Kouban 340
74 l'ukraine
chevaux, 540 bêtes à cornes, 800 moutons et 210^
porcs.
Juscju'au milieu du xix' siècle, l'Ukraine méridio-
nale, particulièrement Ekaterinoslav, la Tauride et
le Kouban, était le marché lainier le plus abondant
du monde entier. A cette époque, la concurrence aus-
tralienne s'y est fait considérablement sentir et à
l'heure actuelle, le marché ukrainien a perdu quelque
peu de son importance.
L'élevage de la volaille est une des principales res-
sources de la population agricole ukrainienne : l'ex-
portation des poulets, oies, canards, etc., des œufs
et des plumes est très importante et se dirige non seu-
lement vers la Russie et la Pologne, mais aussi vers
l'Autriche, l'Allemagne et l'Angleterre. En 1905, par
exemple, l'Ukraine exporta plus de 600.000 quintaux
d'œufs.
Richesses du sous-sol
La production minérale représente une grande ri-
chesse pour l'Ukraine qui, si elle obtient la possibilité
d'exploiter dans une plus large mesure le Plateau du
Donetz, les Carpathes et le Caucase, pourra devenir
un pays aussi industriel que l'Allemagne et l'Angle-
terre.
RICHESSES DU SOL 75
L'or est peu abondant : on n'en trouve que quel-
ques traces dans les quartz du plateau du Donetz.
L'argent s'y trouve plus souvent, surtout dans le
Kouban, le Terek et les régions du Caucase où, en
1910, l'extraction fournit environ 300.000 quintaux de
minerai d'argent. Les mêmes régions donnèrent, la
même année, 11.000 quintaux de plomb.
Le zinc s'y trouve en petite quantité, mais par con-
tre le mercure représente une production appréciable,
surtout à Mikitivka dans le Donetz où, en 1905, il fut
extrait plus de 320.000 kilogrammes.
Le cuivre se trouve surtout dans le Donetz, dans
les gouvernements de Kherson et de Tauride et sur-
tout dans le Caucase dont la production en 1910, était
évaluée à 81.000 quintaux, c'est-à-dire 31 0/0 de la
production totale de la Russie.
La production du manganèse est encore plus im-
portante; pour l'année 1907 elle a été, dans le bassin
inférieur du Dnièpre, de 3.245.000 quintaux ou 32 0/0
de la production totale de la Russie et le sixième de la
production mondiale. Sous ce rapport, elle occupe le
troisième rang et se place après le Caucase et les In-
des.
Il existe des gisements de fer un peu sur tout le
territoire ukrainien, dans le Caucase, en Volhynie, à
76 L'rKUAINK
l'ouest de Kiev et dans les Caipatlies. Mais il n'y a
que ceux du Donetz et de Kertch qui ont été jusqu'a-
lors exploités. Leur production a été en 1907, de 39,9
millions de quintaux; en 1908, de 40,8 millions; en
1909, de 39 milliards; en 1910, de 43,4 millions; en
1911, de 51,1 millions. Ces chifîres prouvent surabon-
damment que la richesse en fer de l'Ukraine est in-
commensurable.
L'Ukraine possède également dans le Donetz un des
plus grands bassins houillers de l'Europe, puisque sa
superficie est de 23.000 kmq. En 1911, la production
du charbon de ce bassin s'est élevée à 203 millions
de quintaux auxquels il faut ajouter 31 millions de
quintaux d'anthracite et près de 34 millions de coke.
Quant aux pétroles, napthes et autres huiles miné-
rales, l'Ukraine est une des contrées du monde qui en
produit le plus, bien que dans les Carpathes notam-
ment, il y ait de grandes mines de naphte dont beau-
coup ne sont pas encore ouvertes. La moyenne an-
nuelle de la production pétrolière est pour les Carpa-
thes, de 12.000.000 de quintaux et pour le Kouban, de
15.000.000 de quintaux.
Les mines de sel sont tout aussi importantes que
les gisements de fer et de pétrole. Leur production
s'éleva, en 1901, à 179.000.000 de quintaux.
CHASSE ET PÊCHE 77
Chasse et Pêche
La chasse joue un rôle presque insignifiant dans la
vie économique de l'Ukraine, car elle est restée jus-
qu'à maintenant le monopole des classes élevées. En
190G, il a été tué en Galicie, partie très giboyeuse de
l'Ukraine, 500 cerfs, 10.000 chevreuils, 2.000 san-
gliers, 9.000 renards, 90.000 lapins, 8.000 faisans,
50.000 perdrix, 30.000 cailles, 10.000 bécasses, alors
qu'en Bohême, par exemple, réputée moins giboyeuse
que l'Ukraine, il a été tué, la même année, 800.000 la-
pins et plus d'un million de perdrix.
Il importerait grandement que le gouvernement qui
présidera désormais aux destinées du pays prenne
des mesures pour imprimer un plus grand essor à
l'industrie de la chasse.
Tout le monde y trouvera son avantage; le cultiva-
teur verra diminuer sur ses terres les déprédations
commises par les loups, les renards et autres carni-
vores qui pullulent dans les steppes; le peuple et les
finances de l'Etat retireront de très appréciables béné-
fices de la vente du gibier.
La pêche est plus pratiquée et se fait en haute mer,
dans les eaux douces, dans les lacs et dans les étangs.
La pêche en haute mer fournit annuellement pour
la seule Mer Noire environ 24 millions et demi de ki-
logrammes de poissons, maquereaux, sardines, ha-
78 L'UKRAINE
rengs et esturgeons et se pratique principalement en
Bessarabie, dans le Kherson et en Tauride. Dans la
Mer d'Azov, la pêche est encore plus abondante et
donne plus de 140 millions de kilogrammes. Cepen-
dant, agriculteur avant tout, le peuple ukrainien se
livre peu à la pèche qui n'occupe que 0,2 0/0 de la
population.
Industrie
L'industrie ukrainienne est à une époque de tiau
stion; jusqu'alors peu développée, elle fera de l'U-
kraine, dès que la vie normale y reprendra son cours,
un des pays européens les plus industriels.
La confection est en train de subir une grande
transformation : à Poltava, la couture et la mode occu-
pent déjà plus de 10.000 familles.
La cordonnerie se pratique surtout dans les gou-
vernements de Poltava, de Kiev et en Galicie.
La menuiserie a des ateliers aussi bien dans les
villages que dans les villes, parce qu'elle doit satisfaire
les besoins des paysans comme des citadins. Mais la
menuiserie artistique dont les œuvres sont parfois
admirables se pratique surtout dans la contrée
d'Hutzul.
INDUSTRIE 79
La tonnellerie, de même que la construction des
tateaux en bois, est pratiquée dans les districts de
Poltava où elle occupe 3.700 familles, de Kharkof,
Polissya, Kiev, Tchernigov, Volhynie et dans la con-
trée d'Hutzul.
La vannerie est surtout développée dans la contrée
de Poltava où elle nourrit plus de 1.000 familles, en
Podolie, Kherson, et à Kiev.
La céramique grâce aux nombreux gisements de
substances minérales (kaolin) découverts récemment
est en train de prendre un sérieux développement
dans les régions de Poltava, Tchernigov, Kharkov et
Kiev. La Galicie, le gouvernement de Poltava et la
région d'Hutzul sont renommés depuis longtemps
déjà par leur poterie. 11 y a sur tout le territoire
ukrainien 12 faïenceries, 30 verreries et 12 fabriques
de ciment.
La cordonnerie occupe 9.000 familles dans le gou-
vernement de Poltava; les deux villes d'Okhtirka et
Kotelva dans celui de Kharkov; 12.000 cordonniers
dans celui de Voronège; 8.000 dans la région ukrai-
nienne de Koursk.
Les fabriques et les usines sont fort peu nombreu-
ses en Ukraine.
L'industrie du coton ne compte que quelques fa-
80 l/UK HAINE
briques dans la région du Don (Roslov, Nakhiche-
van) et celle d'Ekalerinoslav (PavloUichkas).
L'industrie du lin et du chanvre n'existe que dans
le gouvernement de Tchernigov.
La meunerie compte un giand nombre de petits
moulins à eau ou à vent, ôO.OOO environ., et 800 grands
moulins. Il y a des minoteries à vapeur à Kharkov,
Kiev, Poltava, Kremintchoug, Odessa, Nikolaïev, Me-
litopol, Brody et Tarnopol.
L'industrie de l'alcool est assez développée. En
1912-1913, elle a donné plus de 4.000.000 d'hectolitres
d'alcool.
L'industrie siicrière est une des plus importantes
de l'Europe. En 1914, il y avait sur tout le territoire
ukrainien 223 fabriques de sucre qui se répartissaient
ainsi : 75 dans le gouvernement de Kiev, IG en Vol-
hynie, 52 en Podolie, 1 en Bessarabie, 2 dans celui de
Cherson, 23 dans celui de Koursk, 13 dans celui de
Poltava, 29 dans celui de Kharkov, 12 dans celui de
Tchernigov. La production sucrière de l'Ukraine est
annuellement d'environ 1.700.000 quintaux dont la
valeur approximative est, sans accise, de 700.000.000
de francs. Kiev, la ville des raffmeurs, est un des plus
grands marchés de sucre de l'Europe.
COMMERCE EXTÉRIEUR 81
Cette industrie progresse si rapidement que, de 1905
à 1915, elle s'est accrue de 100 0/0.
En 1911, l'Ukraine a produit 24.625.000 de quintaux
de fer brut, c'est-à-dire 67,4 0/0 de la production to-
tale de la Russie; en 1912, le pourcentage est monté
jusqu'à 70 0/0.
Le fer forgé sort des usines de Krivrog et d'Ekateri-
noslav.
Commerce extérieur
Le mouvement commercial de l'Ukraine est, com-
parativement à celui des contrées de l'Europe occi-
dentale, d'importance inférieure; mais il est appelé, à
bref délai, à un développement considérable.
Actuellement, la première place dans l'exportation
ukrainienne est occupée par les céréales et les autres
produits de la terre.
L'exportation pour les 9 gouvernements de l'Ukrai-
ne se décompose de la manière suivante : céréales,
1.000 millions de francs (55 0/0 du total); bétail (éle-
vage, volaille) 150 millions de francs (9 0/0 du total);
sucre, 425 millions de francs (22 0/0 du total) ; fer
brut et forgé 200 millions de francs (12 0/0 du tolal) ;
minerai, 25 millions de francs ( 1 à 2 0/0 du total) ; au-
tres produits 40 millions de francs (2 à 3 0/0 du to-
7
82 L'UKUAlNli
Presque toute l'exportation des céréales de l'L Ici ai-
ne se fait au delà des frontières de l'ancienne Russie,
en Europe occidentale, ainsi que celles des produis
de l'élevage : œufs, volailles, peaux, etc... 11 n'y a que
le bétail destiné à la boucherie, et surtout les bêtes à
cornes, qui s'est dirigé jusqu'ici vers le Nord de la
Russie et en majeure partie vers la Pologne.
Quant à l'exportation des autres denrées, le sucre,
par exemple, c'est la Russie qui offre le marché le
plus important. L'exportation totale du sucre au delà
des frontières de l'Ukraine atteint jusqu'à 9 à 10 mil-
lions de quintaux par année et seulement un cimiuiè-
me de cette exportation s'est dirigé au delà des fron-
tières de l'ancienne Russie, principalement sur les
marchés très constants et très avantageux de la Perse
et de la Turquie. Néanmoins, quand la campagne
sucrière se montre très abondante, l'Ukraine exporte
ses sucres même en Europe occidentale, jusqu'en
Angleterre, et à des prix extrêmement avantageux
pour l'acheteur. Le reste du sucre est dirigé vers le
Nord et vers l'Est de la Russie.
L'Ukraine exporte de grandes quantités de fer; la
plupart du temps c'est sous forme de fonte, de fer
brut et de fer forgé. Presque tout le fer exporté et
presque toute la fonte sont vendus dans les limites
du territoire de l'ancienne Russie et en Pologne, car
rUla-aine n'a eu jusqu'alors aucun accès sur les mar-
chés de l'Europe occidentale. Cependant, au cours des
COMMERCE EXTÉRIEUR 83
années qui ont précédé la guerre, elle commençait à
diriger son fer vers les Balkans, la Turquie, l'Egypte,
et même l'Italie.
L'importation de l'Ukraine consiste en objets ma-
nufacturés et surtout en objets de l'industrie textile,
lesquels forment, comme les céréales pour l'exporta-
tion, plus de la moitié des produits importés.
L'importation des neuf gouvernements de l'U-
kraine se décompose ainsi : Tissus, étoffes, vêtements
et autres produits de l'industrie textile, 700 millions
de francs; cuirs et objets en cuir, 60 à 70 millions de
francs; b) coloniales (thé, café, épices), 60 mitions de
francs; c) vins, 30 raillions de francs; d) huiles, 30
millions de francs; naphte et dérivés, 70 millions de
francs; bois, 30 millions de francs; machines et autres
instruments en fer, 60 millions de francs; produits di-
vers, 100 millions de francs.
Les objets en cuir, les machines de toutes sortes,
les produits coloniaux, les vins, sont importés de l'Eu-
rope occidentale ou par son intermédiaire. L'Ukraine
n'importe de la Russie et de la Pologne que les tissus,
les étoffes et autres produits de l'industrie textile. Si
l'Ukraine ne parvient pas à créer sa propre industrie
textile, elle achètera désormais ces produits à l'Eu-
rope occidentale qui les lui fournira à un prix infé-
rieur et d'une qualité supérieure à ceux que la Russie
et la Pologne lui vendaient.
La balance du commerce extérieur de l'Ukraine a
84 L'UKllAINIi
loujours élc lic-s active el l'cxjjorlalion. s'est iiKjiitrée
jus(jii'à maintenant plus iinportante que rimi)orta-
tion : i)()ur les années 1909-1913, elle s'est cliinrée |)ar
600 millions de francs. Mais elle peut facilement at-
teindre jus(iu'à 1 milliard à cause de l'exportation de
blé et de naphte qui ne manquera pas d'augmenter
dans des i)roportions assez considérables.
Littérature
Riche de tous les biens de la terre, l'Ukraine ne
pouvait manquer d'être, dès les premiers jours de son
existence, en même temps qu'un grand marché com-
mercial, un grand centre intellectuel. Kiev, avec son
Académie fondée en 1()32, devint un foyer de lumière
non seulement pour l'Ukraine, mais pour tous les
pays slaves.
Malgré les nombreux obstacles qui lui ont été sus-
cités au cours de tous les siècles, la littérature ukrai-
nienne se révèle aussi riche que variée. Elle comprend
tous les genres, aussi bien dans le domaine de la
poésie que dans celui de la prose.
POÉSIE * 85
Poésie épique
La poésie épique voit, du ix" au xiir siècle, toute
une série de chants héroïques qui, recueihis par les
professeurs Dragomanov et Antonovitch, font revivre
le héros populaire Ivanko qui tantôt fait le siège
de Constantinople, tantôt livre un combat singulier
au tsar turc.
Mais l'œuvre la plus célèbre dans ce genre, est
« Le Chant des troupes d'Igor » qui rappelle assez no-
tre <( Chanson de Roland ». L'auteur dont le nom n-'est
pas arrivé jusqu'à nous, raconte en une langue forte
et savoureuse, la campagne d'un prince Ruthène con-
tre les Polovtsy, tribu non-slave qui menaçait alors
la frontière orientale de l'Ukraine,
Du XIII' au xviii" siècle, ces chants héroïques de-
viennent historiques. Le peuple ukrainien s'en em-
pare pour célébrer le héros national, le cosaque Baïda
supplicié par les Turcs à Constantinople et qui, pré-
cipité d'une tour, s'accroche à un pieu en tombant,
et tue à coups de flèches le sultan venu assister
à son- exécution.
M. Rambaud a réuni tous ces chants en un superbe
volume dont la lecture est du plus haut intérêt.
A partir du xviii' siècle, la poésie épique semble
disparaître pour faire place à la poésie lyrique.
8b L'UKRAINE
Poésie lyrique
La poésie lyrique, née à la lin du xviii" siècle, trou-
ve son premier véritable interprète dans Ghachkevitch
qui composa en 1834 son premier almanach littéraire
« L'Aurore » que la censure de Lemberg interdit et
en 1837 son second « Le Naïade du Dn-ièpre > qui ne
put paraître qu'en 1848.
Joseph Fedkovitch par ses chants où il glorifie la
vie des ancêtres, sut intéresser les cultivateurs, les
pâtres et les villageois.
Mais tout le talent de Ghachkevitch et de Fedko-
vitch disparaît devant le génie de Taras Chevtchenko
(1814-1861) qui est, à juste titre, considéré comme le
plus grand poète de toute la littérature ukrainienne.
Né dans une chaumière de paysans à Morynsti, dans
le gouvernement de Kiev, il n'a connu que quelques
années de liberté et de bonheur. Serf jusqu'à 24 ans,
prisonnier politique en Sibérie pendant dix ans, sur-
veillé par la police de Petrograd durant trois années
et demie, il mourut le 24 février 1861, à l'âge de 47
ans. Mais enfant du peuple, il en a été le chef et il en
reste l'idole. Ses funérailles eurent lieu, à sa deman-
de, sur les hauteurs qui regardent le Dnièpre, au
milieu de plus de 60.000 assistants appartenant à tou-
tes les classes de la société.
Son premier recueil de poésies lyriques « Kobsar »
POÉSIE 87
(le Barde) parût en 1840 et fut suivi, un an après,
par les « Haïdamaks » qui faisaient revivre les
paysans ukrainiens révoltés contre leurs tyrans.
L'impression fut extraordinaire et, du coup. Taras
Chevtchenko devient le poète national. Personne en
Ukraine n'avait avant lui parlé une langue plus pure,
n'avait versé de larmes plus vraies sur le malheur de
sa patrie; aucun poète n'avait atteint les hauteurs de
son génie.
Ses plus belles poésies sont : « Le Songe », « Le
Caucase », « A Osnovianenko », « A l'Eternelle mémoi-
re de Kotlarevsky », « Aux Vivants, aux Morts et à
ceux qui doivent naître »,
Ses plus beaux poèmes sont : « Les Haïdamaks »,
«Maria», «Naimytchka » et « Kateryne » qui est l'his-
toire d'une fille du peuple délaissée par un officier
russe.
Pantélémon Koulich (1815-1897), s'inspirant de la
littérature européenne, traduisit d'abord les poèmes
de Byron, puis se livrant à l'inspiration poétique,
écrivit des poésies imitées de V. Hugo qui forment
plusieurs recueils, dont « Les Aubes » qui se recom-
mandent par le plus pur lyrisme,
Michel Starytsky, écrit des poésies d'une valeur
réelle pour protester contre l'oppression nationale et
sociale,
Larissa Kvitka, sous le pseudonyme de « Lesia Ou-
krainska » exprime avec un charme tout féminin, une
88 l/lKHAINI-:
linesse et une. sensibilité exquises, les sentiments de
son âme rêveuse et mélancolique. Ses meilleures poé-
sies sont : «Sainte Nuit», «Contra spem spero^s «A
mes compagnons », « Le Poète ».
Khrystia Allchevska, par la pureté de la forme et
O. Oies, par la puissance du verbe, mériteraient d'être
conn.us en dehors des frontières de l'Ukraine.
Parmi les poètes dont les œuvres peuvent entrer
dans ce genre, il faut citer: Kollarevski avec son Ode
au Prince Kourakine; Constantin Pouzyme (1790-
1850) avec le Paysan petit russien; Alexe Storojenko
(1805-1874) avec son « Cygne » où il parle du poète
qui meurt fièrement sans attendre les applaudisse-
ments de la foule; Samilenko, le traducteur de Mo-
lière; Hrvntchenko, le Déroulède ukrainien, etc.
Poésie satirique
La poésie satirique fut d'abord cultivée par quel-
ques poètes inconnus dans « Les Psaumes laïques »,
« La Victoire de Beresteczko », « Lamentations de la
Petite Russie sur les Polonophiles », « Mazepa et
Italie », « L'introduction du servage en Ukraine »,
«La conversation de la Grande Ri ssie avec la Petite».
Mais le premier vrai poète satirique de l'époque mo-
FABLES 89
derne est Jean Kotlarevsky, appelé avec raison le Père
de la littérature moderne ukrainienne. Elève du sémi-
naire de Poltava, militaire, puis fonctionnaire civil,
il entra dans la maçonnerie et, peu de temps après,
publia en langue ukrainienne son « Enéide travestie ».
C'est une satire qui, dans une grande perfection de
forme et une langue vive et savoureuse, trace le ta-
bleau d'un Olympe mais d'un Olympe aux pots de
vin et aux intrigues bureaucratiques. Elle eut trois
éditions du vivant de son auteur et, aujourd'hui, elle
en compte plus de trente. Napoléon en quittant Mos-
cou en mit, dit-on, un volume dans sa cantine.
Fables
Le premier fabuliste ukrainien est Pierre Artemov-
sky Houlak (1790-1866) qui s'est rendu célèbre par sa
fable « Le Maître et le Chien », protestation énergique
contre le servage auquel était soumis le peuple ukrai-
nien. La littérature ukrainienne compte d'autres fa-
bulistes comme Leonid Glibov (1827-1893) par exem-
ple, mais aucun n'a laissé d'œuvres qui méritent de
passer à la postérité.
Parmi les autres poètes ukrainiens, car il faut bien
se borner, il convient de citer Victor Zabillo, Ivan
90 l'ukraine
Franko, W. Stchourat, Bogdan Lepky, qui ont laissé
des poésies charmantes de grâce et de finesse. Et ac-
tuellement, l'Ukraine voit naître de nombreux poètes
comme Tcherniavsky, Vorony et beaucoup d'autres
dont les poésies sonnent gaîment.
Théâtre
Le théâtre fait son apparition dans la littérature
ukrainienne par des Mystères, comme « La Descente
de Jésus aux Enfers » et des comédies satiriques con-
tre les prêtres, telles que : « Le Pope Negretzky ».
Dolhalewsky a laissé dans ce genre, des pièces assez
connues.
Mais, pour avoir des pièces de réelle valeur, il faut
attendre l'auteur de !'« Enéide travestie », Jean Kot-
larevsky, qui écrivit deux comédies charmantes :
« Natalka Poltavka » et « Le Soldat sorcier ». La pre-
mière a de réelles qualités scéniques qui lui permet-
tent de faire recette encore aujourd'hui. Toutes les
deux charment par la vérité des types, la vivacité du
dialogue et, surtout, par leur langue vigoureuse et
imagée.
Basile Gogol (1825), père de Nicolas, a laissé
une bonne comédie « Le Rustre » et une de valeur
moindre « Les Sortilèges » ; Jacques Kouharenko en
a écrit également plusieurs.
THEATRE 91
Parmi les poètes tragiques qui sont fort nombreux,
il faut citer tout d'abord: Nicolas Kostomaroff (1817-
1885) qui, par son œuvre historique, appartient à la
littérature russe, mais reste ukrainien par ses poésies
débordantes de patriotisme et ses deux tragédies :
« Sava Tchalyi » et « La Nuit de Pereslav » , Michel
Starytsky (1840-1904), qui fit du théâtre un puissant
facteur de propagande nationale; il a écrit un cer-
tain nombre de pièces qui frappent l'imagination, en-
chantent et émeuvent. Marco Kropyvnitsky (1841-
1910), qui donne toute une série de types et de ta-
bleaux pris sur le vif. J. Tobilevitch qui, plus connu
sous son pseudonyme Karpenko-Kary (1865-1907)
est un écrivain de tout premier ordre, et a laissé, avec
un beau drame historique « Sava Tchaly », d'excel-
lentes études de mœurs populaires.
Le théâtre ukrainien a toujours joui sur tout le
territoire de la Russie d'une renommée justement cé-
lèbre, car ses acteurs sont excellents. Mais, jusqu'à
1895, ces acteurs n'avaient pu jouer qu'en dehors des
frontières de l'Ukraine, à Petrograd, à Moscou et jus-
qu'en Sibérie, et seulement depuis l'ordonnance
1876. En 1895, le général-gouverneur Dragomirov,
ukrainien russifié, mais secrètement attaché à l'U-
kraine, accorda aux acteurs ukrainiens le droit de
jouer des pièces en langue ukrainienne à Kiev, à Eka-
terinoslav, et, en général, dans toute l'Ukraine. Aussi,
les années qui ont précédé la guerre virent-elles éclo-
i)2 i.'i i;i{AiNi-;
re toute une iloraison de comédies, de drames et de
tragédies dont i)lusieurs annonceiil de réels talents.
Parmi ceux-ci se placent au tout premier rang les
drames de Vinnitchenko, plus connu comme roman-
cier mais qui possède les véritables qualités du dra-
maturge. Son dernier drame : " Entre deux Forces »,
inspiré par les tragiques événements qui se sont
déroulés en Ukraine, pendant la ])remière occupation
des Bolcheviks, est un véritable chef-d'œuvre. Interdit
par le Hetman Skoropadsky, il fut joué en janvier
1919, après la reprise de Kiev par les troupes de la
République ukrainienne, et déchaîna un enthou-
siasme indescriptible.
Roman et Nouvelle
Le roman fait de très bonne heure son apparition^
dans la littérature ukrainienne avec les traductions
des romans grecs « L'Alexandria » du pseudo Caly-
sthène, la « Guerre de Troie » et le « Royaume des In-
des ».
Mais ce n'est qu'à la fin du xviir siècle que devait
paraître le père du roman ukrainien tel que nous le
concevons aujourd'hui. C'est Grégoire Kwitka qui,
sous le pseudonyme d'Osnovianenko, a précédé Geor-
ge Sand, Auerbach et Tourgueniev, en écrivant de
ROMAN ET NOUVELLE 93
charmantes nouvelles tirées de la vie du peuple. Son
principal roman : <( Maroussia » est une œuvre de
sensibilité sincère et exquise. « La Sorcière de Kono-
top », « Oxana malheureuse », « L'amour sincère »,
dénotent une grande pureté de sentiment et un pro-
fond amour du peuple, de son pays et de sa langue.
Ivan Levytsky, connu sous le pseudonyme de Net-
chouy, jouit d'une grande vogue dans toute l'Ukraine,
Parmi ses nombreux romans, il faut citer : « Deux
Moscovites », « La Nuit de Horeslav », « Le Cram-
pon », <( Ténèbres », « La Remorqueuse », etc.
Panas Myrny eut de nombreux démêlés avec le
Gouvernement russe. Son principal roman « Les
Bœufs ne mugissent pas quand ils ont du foin dans
le râtelier », où il dépeint la vie sociale, a été édité à
Genève par Dragomanov.
Marie Markovitch, sous le pseudonyme de Marko
Wowtchok (1834-1907), fut pour le roman ukrainien
ce que Chevtchenko fut pour la poésie. Elle dépeint
les mœurs et la vie des serfs et les anciennes coutu-
mes de l'Ukraine. « Maroussia » est un véritable petit
chef-d'œuvre et ses Contes Populaires, parus en
1856, eurent un tel succès qu'ils furent traduits en
russe par Tourguenieiï", en anglais et en français. La
traduction française de « Maroussia » due à l'habile
plume de M. Stahl, a eu un tel succès, qu'elle compte
aujourd'hui plus de 80 éditions.
Alexandra Koulich (1829-1911) a écrit sous le pseu-
aé l'ukraine
donyme de Hanna Barvinok un grand nombre de
romans sur la vie du peuple, où elle fait preuve d'un
profond esprit d'observation.
Anatole Swidnytsky (1834-1872) a laissé des ro-
mans « Les Luboradsky » (Chronique de famille),
qui dépeignent la vie des « Années soixante » dans les
milieux bourgeois ukrainiens qui commençaient à se
dénationaliser.
Ivan Franko (1856-1916), tour à tour poète et ro-
mancier, dépeint dans une série de nouvelles, l'exploi-
tation du peuple dans les mines pétrolifères de Boris-
lav « Boa constrietor », « A la sueur de son front ».
« Pour le foyer », « La Croisée des chemins », « Au
sein de la nature », etc. et la misère des paysans li-
vrés à la merci des seigneurs.
Michel Kotsioubinsky (1864-1913) peut se compa-
rer à Guy de Maupassant par la profondeur de son
analyse psychologique et à Tourgueniev par ses ta-
bleaux de la nature. Dans son « Intermezzo », il dé-
peint l'immensité des champs de l'Ukraine et son ciel
cristallin, avec un lyrisme qui n'a d'égal que l'émotion
provoquée par le récit des malheureux paysans mis en
scène. Les « Fata Morgana » sont des scènes tragiques
et angoissantes de la Révolution de 1905. Les « Om-
bres d'ancêtres oubliés » dépeignent la vie des monta-
gnards vivant dans les Carpathes.
Maître d'une langue parfaite, profond psychologue,
Kotsioubinsky a donn-é des œuvres qui sont considé-
HISTOIRE 95
rées comme les plus parfaites de la littérature ukrai-
nienne.
M. Vinnitchenko, dont l'analyse psychologique est
également très profonde, ne cherche pas à idéaliser
ses héros ordinairement communs et même vulgaires,
mais néanmoins très vivants. Chacun de ses ro-
mans est un chef-d'œuvre d'observation. Parmi les
plus connus, il faut citer «Holota» (Populace), tableau
triste et puissant de la \ie du prolétariat agraire; « Je
veux », peinture forte et énergique de la vie des intel-
lectuels ukrainiens, en même temps que puissante
analj'se du sentiment national dans l'âme d'un intel-
lectuel ukrainien russifié, « Le Mensonge », « L'Ours
Blanc et la Panthère Noire », etc.
Histoire
L'Histoire fait son apparition dans la littérature
ukrainienne sous la forme de Chroniques dont les
principales sont celles de Nestor au xii*" siècle et celles
de Kiev et de Galicie-Volhynie qui les continuent jus-
qu'en 1292.
Merveilleux assemblage de légendes et de faits his-
toriques racontés avec une naïveté, une vivacité char-
mantes et un grand soin d'exactitude, elles expriment
le caractère national ukrainien qui, dit l'historien So-
90 l'lK HAINE
loviov « csl d'une toute autre uatuie ([ue Je eaiaelère
grand-russien ».
La dynastie lithuanienne eut aussi des historiens
pour raconter l'époque de luttes et de mouvements po-
pulaires qu'eût à traverser l'Ukraine, depuis l'invasion
tartare jusqu'à la perte de ses droits politiques, sous
la domination russe. Les événements de cette époque
sont contenus dans les Chroniques de Lemberg, de
Kiev, de la Ruthène-Lithuanie, au xV siècle; dans les
Mémoires de Samuel Zokie, secrétaire de Khmielnitski,
de Jevlaszewsky, de Khanenko et de Markowytch et
dans les (Chroniques cosaques dont la plus intéres-
sante et la plus littéraire est celle de Velytchko (1090
à 1728).
Mais c'est au xix' siècle que la littérature ukrainien-
ne devait trouver ses véritables historiens dans Michel
Dragomanov, V. Antonovitch et surtout dans Michel
Grouchevsky.
Michel Dragomanov (1841-1895), extrêmement cul-
tivé, resta profondément attaché à sa patrie bien qu'il
ait surtout séjourné à l'étranger, à Paris et à Sofia. Il
a fait connaître l'Ukraine à la France par des brochu-
res riches de faits et de conclusions : « La Politique
orientale de l'Allemagne et la russification », « l'U-
kraine et les Empires centraux », « La Pologne histo-
rique et la démocratie grand-russienne », « Pensées
étranges sur la question nationale de l'Ukraine »,
« Lettres à l'Ukraine du Dnièpre ».
HISTOIRE 97
Dragomanov a puissamment contribué au maintien
du sentiment national dans l'àme du peuple ukrai-
nien.
V. Antonovitch, profondément érudit, a écrit sur
l'histoire de l'Ukraine plusieurs ouvrages dont les
principaux sont: «Monographies historiques», «Der-
nières années de l'organisation cosaque dans l'Ukraine
occidentale». Il a travaillé sur la fin de sa vie à un rap-
prochement ukraino-polonais, sans arriver à un ré-
sultat sérieux.
Michel Grouchevsky est assurément le plus grand
historien de l'Ukraine. Son « Histoire de l'Ukraine »
compte déjà sept volumes et s'arrête à la révolte des
Cosaques (1625), mais on peut déjà la considérer com-
me un chef-d'œuvre par la grande quantité de docu-
ments compulsés et sa force de dialectique.
Parmi les autres historiens ukrainiens contempo-
rains, il faut citer Oreste Levitsky, auteur de Mono-
graphies remarquables, le Père Kripviakievitch et Bog-
dan Buchinsky, auteur de travaux très documentés
sur l'Eglise en Ukraine, Lypinsky qui s'adonne spécia-
lement à l'histoire des relations polono-ruthènes et
qui a déjà fait paraître quelques volumes du plus
grand intérêt et enfin, j^our y prendre une place parti-
culière, M. Stéphane Tomachevsky dont l'Insurrection
des Haïdamaks et les Etudes historiques sur les Ukrai-
niens de Hongrie se recommandent par leur documen-
tation et leur impartialité.
1)8 l'ukkaim:
(À'I Mj)tiçu (le la littérature ukrainienne est néces-
sairement très court et laisse dans l'ombre un trop
grand nombre d'écrivains qui mériteraient chacun
une mention spéciale, mais il est cependant suffisant
pour montrer que, malgré les obstacles suscités j)ar
ses maîtres, malgré les décrets de proscription et de
prohibition, le peuple ukrainien a gardé le culte de sa
langue et des belles-lettres et qu'à l'avenir il saura
user de la liberté qu'il a conquise pour se déveloi)per
intellectuellement et moralement.
Iir PARTIE
LES UKRAINIENS
Réunis en un imposant faisceau dans des tracts et
<les brochures, ou savamment dosés dans des articles
de journaux ou de courtes informations, les argu-
ments qu'agitent les adversaires de l'Ukraine pour
dresser leurs violents réquisitoires contre ses aspira-
tions nationales et son désir de liberté et d'indépen-
dance tombent d'eux-mêmes, si on les examine à la
lumière du bon sens et avec quelque peu d'esprit cri-
tique.
Très impressionnants quand ils sont habillés de
phrases pompeuses et grandiloquentes, ils ne sont que
loque et néant lorsqu'on les réduit à des faits, La
preuve en est aisé à faire.
100 Li:S [IKRAIMIiXS
Le terme « Ukraine »
Pour prouver que le tejritoirc ukrainien fait partie
inlégranlc du territoire russe et que le peuple qui
l'habite n'a aucun droit à l'indépendance réclamée
par ses dirigeants, des adversaires de la jeune Répu-
blique, à bout d'arguments sans doute et plus animés
de haine que doués d'esprit critique, se rejettent sur
l'étymologie du terme « Ukraine ».
Cet argument n'a et ne peut avoir aucune valeur, car
quel ra})port peut exister entre l'origine d'un pays
et le nom qu'il porte ?
Le terme « Ukraine » vient de deux mots russes :
ou et kraïna qui signifient, le premier chez, près de, le
second limite, frontières et par extension, pays, patrie.
Puisque le terme <( Ukraine » disent-ils, signifie
« près de la frontière », le territoire auquel il a été
attribué appartient à la Russie sur la frontière de
laquelle il se trouve. C'est d'une logique absolue!
Or, ce mot a Ukraine » a été employé pour la
première fois, dans les Chroniques ukrainiennes, au
xr siècle, pour désigner le territoire qui porte actuel-
lement ce nom. A cette époque, l'Ukraine n'avait
encore été l'objet d'aucune convoitise, vivait libre et
" indépendante et par conséquent n'était « près de la
frontière » d'aucun pays ou plutôt elle était près de
la' frontière de l'Europe civilisée qu'elle défendait
contre les incursions des barbares.
l'ukrainien diffère des autres slaves 101
D'autre part, l'Ukraine a fait partie de la Pologne
aux xiv% xv" et xvr siècles, c'est-à-dire, avant d'être
englobée dans l'Empire moscovite. Donc, si l'Ukraine
avait été « près de la frontière d'un pays », ce serait
de la Pologne et non de la Russie? L'adage français :
'( qui veut trop prouver ne prouve rien » trouve une
fois de plus son application.
Le peuple ukrainien diffère des autres Slaves
Compris, ainsi qu'il a été dit dans la II" partie, entre
les 44° — 53° de latitude et les 20"^45° de lon-
gitude, c'est-à-dire entre les Carpathes et le Cau-
case, les marais du Pripet et la Mer Noire, le ter-
ritoire ukrainien, dont les frontières ethnographiques
n'ont jamais varié au cours des siècles, est habité par
une population qu'on peut évaluer à près de 50 mil-
lions d'habitants.
Cette population se répartit ainsi: 37.500.000 d'U-
krainiens ou 75 0/0 de la population totale; 5.000.000
de Russes ou 10 0/0; 3.800.000 de Juifs ou 7,6 0/0;
1.400.000 de nationalités diverses (Roumains, Blanc-
Russes, Tartares, Bulgares, etc..) ou 2 0/0.
Les statistiques officielles russes ou polonaises don-
nent des chilïres un peu différents. Mais il ne faut pas
]U2 LliS LKKAIMI.NS
oublier (juV'u Ilussic, le deniier recensement qui date
de 1906 a été fait sur la base de la langue officielle-
ment |)iulée. Or, la plupart des Ukrainiens, surtout
dans les villes parlent russe (la langue ukrainienne
ayant été jusque là proscrite), et ont été, de ce fait,
considérés comme Russes.
Les statistiques polonaises ne sont pas plus exactes,
car elles enregistrent comme Polonais tous les
Juifs habitant le territoire ukrainien et tous les Ukrai-
niens professant la religion catholique. Or, le chiffre
des Ukrainiens catholiques dépasse 500.000 et per-
sonne n'ignore que les Juifs vivent fort nombreux en
Ukraine et surtout en Galicie.
On voit dès lors quelle confiance il faut accorder
aux statistiques provenant de ces deux sources.
Le peuple ukrainien fait partie de la grande famille
slave, mais diffère essentiellement des Russes
et des Polonais qui appartiennent à la même race.
De savants anthropologistes comme Dniker et Reclus,
en F'rance, Popof et Krasnow, en Russie, Vovk et
Rakovski, en Ukraine, ont démontré, chiffres et preu-
ves à l'appui, que la grande famille slave se di^1se en
deux groupes : le groupe vislien qui comprend les
Russes, les Polonais et les Blanc-Russes et le groupe
adriatique ou dinarique auquel appartiennent les
Serbo-Croates, les Slovènes, les Tchéko-Slovaques et
les Ukrainiens. Chacun de ces groupes se distingue
par des caractéristiques qui ne permettent aucune
l'ikhainikn diffère des autres slaves 103
confusion. Le premier groupe est de taille moyenne,
avec 76 comme table de visage et les cheveux blonds.
Le second groupe est de taille élevée, avec 78 comme
table de visage et les cheveux noirs.
En 1880, le géographe et anthropologiste Reclus
voyait un lien de parenté entre l'Ukrainien et le Slave
méridional et Deniker concluait une de ses études
par ces mots : « Les Ukrainiens, de même que les
Slaves méridionaux, appartiennent à la race dite race
adriatique ou dinarique, tandis que les Polonais ap-
partiennent à la race de la Vistule et les Russes à la
race orientale. »
Plus récemment encore, M. Alfred Fouillée, après
M. A. Leroy-Beaulieu, écrit dans son Esquisse psy-
chologique des peuples européens : « Les Petits-Rus-
siens (Ukrainiens) sont plus fins de membres et d'os-
sature (que les Russes), plus vifs et plus alertes d'es
prit, à la fois plus mobiles et plus indolents, plus mé-
ditatifs et moins décidés, par suite plus apathiques et
moins entreprenants. Ils ont l'esprit moins positif,
plus ouvert au sentiment et à l'imagination, plus rê-
veur et poétique. Ils ont des instincts plus démocra-
tiques et sont plus accessibles aux séductions révolu-
tionnaires. Ce sont de vrais Cello-Slaves ».
Ainsi, d'après ces savants ({ui n'avaient certes pré-
vus ni l'effondrement de l'empire russe, ni la désagré-
gation de la monarchie austro-hongroise, ni, par
conséquent, la proclamation de la République ukiai-
1<>^ LKS UKRAINIENS
nienne, le peuj)lc ukrainien, slave comme les Russes
et les Polonais, en est, cependant, essentiellement
distinct.
L'Ukraine est une Nation
Dans son Histoire de Charles XII de Suède, Vol-
taire a dit que «l'Ukraineatoujoursaspiréàêtrelibre ».
Cette affirmation d'un maitre en la matière n'empê-
che pas les adversaires du peuple ukrainien de répé-
ter à satiété que « personne en Europe ne se doutait
tout récemment encore, d'une Ukraine et d'Ukrainiens
aux visées séparatistes ». A quelle époque Voltaire vi-
vait-il donc ?
Mais ceci ne peut pas embarrasser ceux qui
nient au peuple Ukrainien son droit à l'indépen-
dance « parce qu'il n'a pas existé de tout temps ou
du moins pendant des siècles », puisqu'après leur belle
déclaration, ils ne craignent pas de reconnaître les
faits que voici :
« Byzance, au xiv^ siècle, appela Russie mineure
les provinces de Kiev, Tchernigov, Volhynie, Podolie,
Poltava et la Galicie pour distinguer ce territoire de
celui de la Russie majeure ».
« Au xiii" siècle, s'écroule l'édifice majestueux de la
Russie kiovienne..., mais à vrai dire ce ne sont pas
L'UKRAINE EST UNE NATION 105
seulement les Tartares qui furent la cause de la ruine
du pays : les tendances séparatistes des contrées qui
composaient la principauté de Kiev y furent pour
beaucoup. »
« Pendant que la Grande-Russie, sous la ferme di-
rection de ses princes, s'acheminait vers un avenir
glorieux, la Russie méridionale cessait d'exister politi-
quement.
« Le peuple Ukrainien sortit de la tête d'un écrivain
polonais, le comte Potocki, en 1795. »
Ces citations pourraient être continuées. Mais, pui-
sées dans une seule des multiples brochures écrites
contre l'Ukraine et les Ukrainiens, celles-là suffisent
pour montrer quelles difficultés ont à vaincre les ad-
versaires de l'Ukraine pour soutenir leur thèse. Ou-
bliant qu'ils nient l'existence de l'Ukraine avant la
Révolution russe de 1917, ils laissent tomber de leurs
plumes des dates qui jettent à terre tout l'échafau-
dage si laborieusement construit.
Leurs propres données non seulement prouvent que
l'Ukraine a une tradition historique, mais fournis-
sent les deux prémisses qui permettent au peu-
ple ukrainien de conclure à son droit de vivre
désormais libre et indépendant : Pour user de
ce droit, le peuple ukrainien devrait avoir vécu
pendant des siècles, disent-ils. Or, sous le nom de
Russie Mineure ou sous son nom actuel, l'Ukraine
existait (d'après les seules citations que l'on vient
106 Li:S LKKAIMKXS
de lire; dès le xi\ siècle. Dcmh- l'ik raine et les (krni-
niens ont le droit d'exister.
Pour soutenir la niènir thèse, (|uc' rCkraine en tant
que nation n'existe pas et n'a Janiais existé, d'autres
adversaires invoquent le fait, qu'en l()ô4, <( le Helman
Kmielnitski, vieux et alîaibli, a donné au Tsar
moscovite, par le traité de Pereislav, la moitié de la
Russie qu'il avait délivrée de l'eselavage polonais ».
Or, voici quelques-uns des articles de ce traité :
L'Ukraine doit être gouvernée par son propre
peuple.
Là où il y a trois libres Ukrainiens, deux doivent
juger le troisième.
Si le Hetman vient à mourir par la volonté de Dieu,
que l'Ukraine elle-même élise un nouvel Hetman par-
mi son propre peuple en informant seulement le Tsar
de cette élection.
Que l'armée ukrainienne s'élève toujours à GO.OOO
hommes.
Que les impôts soient perçus par des fonctionnaires
élus.
Que le Hetman et le gouvernement ukrainien puis-
sent recevoir les ambassadeurs qui, de tout temps,
sont venus des pays étrangers en Ukraine ».
Donc, ce traité qui, d'après les adversaires du mou-
vement nationaliste ukrainien actuel, prouverait que
I?Ukraine s'est donnée à la Russie, garantit au con-
traire au peuple ukrainien un gouvernement autono-
L'UKRAINE EST l'XE NATION 107
me, une armée permanente, une administration fiscale
particulière et enfin, sous certaines réserves, la faculté
d'entretenir des rapports internationaux, c'est-à-dire
réserve sa complète indépendance.
Cette charte des libertés ukrainiennes, confirmée
par lettres patentes du Tsar Alexis Mihailovitch, le 27
mars 1654, a été cyniquement foulée aux pieds par
tous ses successeurs jusqu'en 1917; mais ce déni de
justice ne confère pas aux Russes qui ont aboli le tsa-
risme pour obtenir plus d'équité, le droit de s'opposer
à l'indépendance de l'Ukraine.
D'ailleurs, pour s'assurer que l'Ukraine n'est pas
née d'hier, il suiîit de feuilleter l'Histoire.
Le célèbre auteur de la remarquable Histoire de
Russie, Karamzin (1765-1820), avoue « que les pro-
vinces méridionales de la Russie (l'Ukraine) devinrent
dès le xiir siècle comme étrangères pour notre patrie
septentrionale, dont les habitants prenaient si peu
part au sort des Kioviens, Volhyniens, Galiciens, que
les chroniqueurs de Souzdal et de Novgorod n'en di-
sent presque pas un mot ».
Pierre le Grand emploie le mot Ukraine et dit :
« Le peuple ukrainien est très intelligent, mais ce
n'est pas un- avantage pour nous ».
Catherine II rend hommage à l'esprit de sacri-
fice du comte Alexis Razvomowtsky « qualité na-
turelle à la nation petite-russienne » ; elle est
enchantée du climat de Kiev où elle trouve le
in.S I,|;.S I Kh AIMIONS
priiilcmj)s, alors (juc clicz nous, en Hiissic, c'est
encort' riiiver , mais cela ne lait que l'engager
davantage à employer " les dents d'un loup • et ■■ les
ruses d'un renard » pour parvenir à la russification
complète de ce merveilleux pays.
Plus près de nous, Stolypine se plaint des " ukrai-
niens » et les traite « d'allogènes -.
J)'autre j)art, une carte découverte en juillet 1918
dans la Bibliothèque des RR. PP. Bénédictins d'Ein-
siedeln prouve qu'en 1710, l'Ukraine existait comme
centre géographique et politicjue indépendant de la
Moscovie. La carte de la Moscovie de N'ischer (1735)
dénomme Okraïna ce qu'on a dénommé depuis Petite-
Russie. Celle de Homann (1716) comprend la Ruthe-
nie avec Leopol (Lemberg) dans les limites de
l'Ukraine.
Ainsi, le Recueil complet des Lois Russes, le Re-
cueil de la Société historique russe, les Archives de
l'Empire russe, les ouvrages des historiens russes So-
loviov et Karamzin, la Bibliothèque d'Einsiedeln,
tous fournissent des textes et des documents qui ne
permettent pas un seul instant de mettre en doute
l'existence, au moins dès le xiii" siècle, et sur le terri-
toire actuellement revendiqué par les Ukrainiens, de
la nation ukrainienne dont voici l'histoire :
Indépendante pendant six siècles, du ix° à la fin du
Xv', elle se vit tout à coup sous la pression de
la Pologne, obligée de subir un joug étranger jusqu'au
L'UKRAINE EST UNE NATION 109
jour OÙ, vaincu à l'ouest, Bogdan Khmielnitski, son
Hetman, se décide à se tourner vers l'Est et à
accepter le protectorat d'Alexis Mihailovitch, tsar
moscovite, par le traité de Pereiaslav (1654). C'était
tomber de Charybde en Scylla, et le grand poète
Chevtchenko dit fort bien dans un vers lapidaire que
tout Ukrainien apprend en suçant le lait maternel :
« Il aurait mieux valu que ta mère t'aie étouffé dans
ton berceau. >
A partir de ce moment, l'histoire de l'Ukraine n'est
qu'un long martyrologe dont les pages ne semblent
pas encore closes.
Pour russifier l'Ukraine, Pierre-le-Grand remplace
les gouverneurs ukrainiens par des voïevodes mosco-
vites : le fameux Yvan Mazepa, que Victor Hugo a
chanté dans ses Orientales, se révolte et conclue une
alliance avec Charles XII de Suède que la France fa-
vorise. Vaincu à Poltava, il cherche un refuge dans la
Bessarabie qui appartenait alors à la Turquie.
Catherine II introduit le servage en Ukraine, op-
prime les intelligences, abolit le nom même d'Ukraine
qu'elle remplace tendancieusement par celui de Pe-
tite Russie, comme elle avait remplacé le nom de Po-
logne par celui de Pays de la Vistule et le nom de la
Lithuanic par celui de Pays du Nord-Ouest.
Nicolas I" est plus féroce encore : il supprime
l'Eglise uniate et impose la religion orthodoxe; la
Confrérie de Cvrille et Méthode, dont le but était de
110 M. s T Kl'.AIMKNS
maintenir le senlimenl nntioiial (l:uis l'àiiie du i)(iii)le
et propager l'idée d'une lédriiitioii d(''ni(»cr:ilij|U(' de
tous les peuples slaves est dissoute : ses nienihres par-
mi lesquels l'historien Kostoniarov et le j)oète Chevt-
chenko sont envoyés au bagne de .Sibérie.
Alexandre II proscrit la langue ukrainienne <les
écoles et fait décréter en 1803 par le comte N'alouïev,
son ministre de l'intérieur, « qu'il n'y a jamais eu de
langue ukrainienne, qu'il n'y en a pas et qu'il ne doit
pas y en avoir » et en 1870, par le chef du Départe-
ment de la presse, Gregoriev, que l'impression et la
l)ublication des livres et brochures en ukrainien sont
interdites dans les frontières de l'Empire, de môme
que la représentation des pièces en langue ukrai-
nienne. Le résultat ne se fait pas attendre : le nom-
bre des illettrés monte à 80 0/0, personne ne voulant
aller dans des écoles où l'on n'apprend qu'une langue
étrangère : le russe. L'exode des intellectuels ukrai-
niens vers la Galicie commence; cette province de-
\ient, dès lors, le Piémont ukrainien.
Nicolas II, si libéral au début de son règne, laisse
cependant son ministre Stolypine reprendre aux
Ukrainiens les quelques libertés rendues par la Révo-
lution de 1905, déclarer dans une série de circulaires
f( que le ralliement de la société ukrainienne autour
de l'idée nationale n'est pas désirable au point de vue
des dispositions de l'empire russe », dissoudre leurs
associations et juguler leur presse et permet, les deux
l'armke ukrainienne llï
premières années de la guerre, d'inutiles violences
dans les deux Ukraines russe et autrichienne.
Que faut-il de plus pour permettre de conclure que,
martyre comme la Pologne, l'Alsace^Lorraine et l'Ir-
lande, l'Ukraine doit être, aux mêmes titres qu'elles^
délivrée du joug de l'oppresseur et puisqu'elle le dé-
sire, vivre désormais libre et indépendante. Toute
autre solution de la question ukrainienne conduirait
nécessairement à des récriminations justifiées, à des
rancunes et à la guerre.
L'armée ukrainienne
Il est assez commun d'entendre, même dans les mi-
lieux qui devraient être bien informés, les versions les
plus fantaisistes sur la formation de l'armée ukrai-
nienne et d'y voir s'y accréditer les racontars les plus
tendancieux.
La vérité est celle-ci :
Lors(jue le bolchevisme, soutenu, sinon soudoyé par
l'argent allemand, eut fait, dans les tranchées septen-
Ijionales russes, son (l'uvre de dissolution et partir de
presque tout le front une grande partie de l'armée
russe, les régiments ukrainiens avec les Cosaques du
Don, furent les seuls à rester fidèles au devoir et à con-
tinuer la lutte à côté des alliés. Réclamés par Pctliou-
1 12 Li:s rKiîAiMi:\s
ra, alors commissaire aux Affaires de la guenc, (jui
voulait les soustraire à la contagion, malgré Kerensky
dont le grand désir était de garder ces valeureux sol-
dats au service de la Russie, ces régiments ukrainiens,
malgré les promesses des Bolcheviks, descendiicnl du
front de Riga sur le front méridional et avec leurs ca-
marades du front rousso-roumain, le défendirent con-
tre l'invasion austro-allemande jusqu'en juillet 1917.
Fatigués par trois années de guerre au cours des-
quelles ils avaient participé à bien des combats, la gi-
becière aussi vide que l'estomac, trompés par de falla-
cieuses promesses, les Cosaques ukrainiens, comme
les soldats russes, comme les Cosaques du Don, eu-
rent leur moment de faiblesse.
Ce fut le mérite de Petlioura et ce sera sa gloire,
quand le temps aura jeté sa patine sur les événements
actuels, d'avoir pu reconstituer avec ces régiments,
dont il élimina les éléments contaminés ou même sim-
plement douteux, une armée parfaitement disciplinée
qui, sans un seul murmure, courut avec un armement
bien imparfait cependant et un ravitaillement plus
que défectueux, à la frontière orientale de l'Ukraine
où commençait à déferler la vague furieuse du Bol-
che\dsme.
Et c'est pas à pas qu'elle recula devant le nombre,
c'est après des luttes acharnées qu'elle céda du ter-
rain et un bombardement de dix jours et des combats
meurtriers qu'elle évacua sa capitale. Aussi, quand.
l'armée UKRAINIENNE 113
dans les premiers jours de mars 1918, elle entra de
nouveau à Kiev, elle y fut reçue par une foule en
délire qui la couvrit de fleurs. Et ce sont ces soldats
qui pendant deux années se sont battus comme des
lions dans la guerre russo-allemande et qui depuis
dix-huit mois luttent avec acharnement pour défendre
l'intégrité et l'indépendance de leur patrie, que l'on
ose calomnier !
Faut-il faire mention des bataillons que les Alle-
mands formèrent avec les Ukrainiens prisonniers
dans leurs camps de concentration? Les poilus fran-
çais qui sont revenus d'Allemagne, aussitôt Tarmis-
tice signé, sont unanimes à déclarer que le régime au-
quel ils étaient soumis, aussi dur fût-il, n'était rien,
en comparaison de celui imposé aux prisonniers de
l'armée russe. Ce régime entraînait fréquemment la
mort. Pourquoi alors, faire un crime à ces malheu-
reux prisonniers d'avoir consenti à passer, puisqu'ils
étaient ukrainiens et non russes, dans des camps où le
traitement était plus doux et la nourriture plus abon-
dante? Libres à eux, quand le moment serait venu, de
consentir ou de ne pas consentir à ce que les Alle-
mands, en échange de leurs bons procédés leur deman-
deraient. Il faut croire que leur conduite a été parfaite,
puisque l'adversaire le plus acharné de l'Ukraine, écrit
en parlant de ces bataillons qui sous sa plume setrans-
forment en. régiments : « Après Brest-Litovsk, on les
envoya en Ukraine, mais ces régiments devaient eau-
J 1 1 LES UKKAIMLNS
ser d'aincrcs (léceplioiis à ceux ({ui les avaient si Ijien
préparés : rentrés au pays, les « Joupanes bleus '> —
lisez les L'krainiens — se distinguèrent hienlol /jnr
leur haine contre les Allemands qui furent forcés de
les désarmer en avril 1918. "
Or, ces régiments sont les mêmes qui combattent
aujourd'hui sous le commandement de Petlioura que
l'on voudrait faire passer, malgré les nombreuses
preuves de francophilie qu'il a données, pour un
comparse des Allemands ou de Lénine et de Bela-Kun.
Le peuple ukrainien veut vivre indépendant
Une opinion très répandue veut qu'en Ukraine, seuls
les partis politiques se seraient prononcés pour l'indé-
pendance, mais que le peuple, seul maître des desti-
nées de son pays, n'a jamais manifesté cette intention.
Il semble que dans cette question, les faits doivent
être plus probants que tous les raisonnements et
toutes les argumentations. C'est pourquoi il suffit ici
de faire un simple exposé de ce qui s'est passé en
Ukraine depuis la Révolution.
Libre du joug moscovite et certaine d'obtenir l'ap-
pui des puissances de l'Entente qui avait tant de fois
déclaré, depuis le 4 août 1914, du haut des tribunes
parlementaires et dans les colonnes de leurs jour-
l'ikraixe et l'indépendance 115
naux, que tout peuple avait le droit de forger son
bonheur en disposant de soi-même, l'Ukraine s'em-
pressa, comme la Pologne et la Finlande, de passer de
la théorie au fait et de proclamer, d'abord son auto-
nomie, puis son indépendance.
Et ce n'est pas seulement la Rada centrale et le Se-
crétariat Général, son organe exécutif, qui demandè-
rent la reconnaissance immédiate du nouvel Etat,
mais des organes, comme le Congrès des Paysans
(1917) et la Réunion des Propriétaires (1918), lesquels
n'ont rien de commun avec les organisations poli-
tiques.
Le Congrès des paysans réuni à Kiev au lendemain
même de la. Révolution, comprenait les représentants
de tous les paysans habitant le territoire de l'Ukraine,
sans distinction ni de religion, ni de nationalité, ni de
parti. Aucun homme politique, aucun intellectuel, au-
cun meneur de foule n'y assistait. Il n'y avait que des
paysans. Or, à l'issue de ses travaux, d'un mouve-
ment spontané, le Congrès des Paysans vota une mo-
tion en faveur de l'indépendance de l'Ukraine.
Le Congrès des propriétaires qui tint ses assises
également à Kiev, un an plus tard, alors que les mem-
bres de la Rada venaient d'être dispersés et que les
prétendus fauteurs du mouvement ukrainien étaient,
tout comme sous le régime tsariste, enfermés dans la
prison de Lukianovka, après avoir, inspiré par les
Allemands, placé le général Skoropadsky à la tête du
IIT) LES UKRAIMKNS
Hetmanat ukrainien, vota également avec la même
spontanéité l'indépendance de l'Ukraine.
Ces faits, que personne, à moins d'être d'une abso-
lue mauvaise foi, ne saurait nier, prouvent que non
seulement les intellectuels, mais aussi la classe des
agriculteurs, les masses paysannes par la voix de
leurs représentants, le peuple ukrainien tout entier
enfin, veut l'indépendance de l'Ukraine.
Le peuple ukrainien a gardé le sentiment
national
On a dit bien souvent qu'une des raisons pour les-
quelles le peuple russe n'a pas pu réagir contre les
idées subversives inoculées chez lui par ses ennemis,
c'est qu'il n'a pas le sentiment national.
Ce reproche ne peut pas être adressé au peuple
ukrainien.
Toute l'histoire de l'Ukraine se dresse pour prouver
qu'à travers tous les siècles, le peuple tout entier s'est
toujours insurgé contre ses oppresseurs pour en se-
couer le joug.
La Révolution russe lui a donné l'occasion d'en
donner de nouvelles preuves.
Depuis le 12 mars 1917, il n'y a pas eu une seule
manifestation, politique, militaire ou religieuse, il ne
L'UKRAINE ET LE SENTIMENT NATIONAL „ 117
s'est pas fait une seule réunion, prononcé un seul dis-
cours, sans que les rues, les maisons, les édifices, les
tribunes, les individus, se soient décorés, sans nul in-
vite et sans aucun ordre, aux couleurs ukrainiennes
or et bleu. Et quand nous. Français, nous assistions
dans les rues de Kiev, d'Odessa ou de quelque autre
ville, à la chasse aux cocardes ukrainiennes par les
Bolcheviks ou )es volontaires de Skoropadsky et de
Denikine, nous songions involontairement à la chasse
aux cocardes françaises sur la terre alsacienne-lor-
raine par les reîtres allemands.
Une autre preuve que tout le peuple ukrainien veut
vivre désormais libre de toute attache avec ceux dont
il a, jusque-là, subi les lois et la domination, c'est
l'empressement avec lequel les enfants et les jeunes
gens se sont précipités sur les bancs des écoles pri-
maires, des écoles secondaires et des écoles supérieu-
res ukrainiennes que le Secrétariat Général d'abord, le
Directoire en suite, se sont empressés d'ouvrir sur tout
le territoire ukrainien.
Ce peuple, qui semblait indifférent pour tout ce qui
était instruction et dont toutes les pensées sem-
blaient se concentrer sur sa récolte prochaine de céréa-
les ou de betteraves, a tout à coup pris le chemin des
bibliothèques et des librairies pour s'y disputer les
trop peu nombreux ouvrages en langue ukrainien.ne.
« Il n'y a jamais eu, il n'y a pas et il ne doit pas y
avoir de langue ukrainienne », avait péremptoirement
nS ^ LES LKRAIMLNS
décrété, en 18()3, le* comte ^'alouïe^. La fierté avec
laquelle tout le monde parle l'ukrainien, l'empresse-
ment que mettent à le réapprendre les enfants et les
jeunes gens des villes, lui iniligent un cruel démenti
et prouvent surabondamment qu'en conservant l'a-
mour et bien souvent l'usage de la langue de ses pères,
le peuple ukrainien a gardé envers et contre tout, mal-
gré toutes les affirmations contraires, le sentiment
national.
Les Bolcheviks russes, qui, à l'égard du peuple
ukrainien et de son mouvement séparatiste nourris-
sent les mêmes sentiments que les Tsaristes, savent
bien, eux, que ^ou^Tie^ et le paysan ukrainiens ont
l'amour de leurs libertés reconquises, le culte de la
langue de leurs pères et l'attachement au sol de la pa-
trie, c'est-à-dire le sentiment national. Aussi, quand
ils lancèrent de Moscou, en 1917, leurs proclamations
dans le but de soulever le peuple contre la Rada, < ce
gouvernement bourgeois », c'est en langue ukrainien-
ne qu'ils les rédigèrent et ils n'oublièrent pas de pren-
dre l'engagement formel, comme Alexis MihailoA-itch,
dans le traité de Pereiaslav, de toujours respecter les
libertés du peuple ukrainien et l'indépendance de la
République ukrainienne.
Le soir de son entrée à Kiev, le 8 fé\Tier 1918,
Moura^nof faisait afficher sur les murs de Kiev
une proclamation en langue ukrainienne où il était
dit : « Prolétaires de Kiev : Je salue la Repu-
L'UKRAINE ET LE BOLCHEVISME 119
« blique des Travailleurs, ouvriers et paysans
« ukrainiens. Nos adversaires nous accusent de ne
« pas admettre le principe de l'autonomie. Je ne cher-
« cherai pas à nous disculper. Le peuple travailleur
« ukrainien sait bien que c'est là un lâche mensonge
<( et une calomnie. Mes armées n'ont qu'un but, vous
« aider à renverser le gouvernement bourgeois pour
« le remplacer par le gouvernement des Soviets nkrai-
« niens. «
Et c'est, parce que leurs libertés ukrainiennes n'ont
pas été respectées par les Bolcheviks, ni par les Alle-
mands qui ont réussi, eux aussi, à pénétrer dans le
pays par les mêmes fallacieuses promesses, que les
paysans d'abord, les ouvriers plus tard, se sont révol-
tés et ont pris les armes, comme ils se révolteront tou-
jours et prendront toujours les armes contre toute
puissance qui voudra restaurer, en Ukraine, un gou-
vernement dont la politique ne s'inspirera pas du seul
respect des libertés ukrainiennes et des seuls intérêts
du peuple ukrainien.
L'Ukraine n'est pas bolchéviste
Croire que les théories maximalistes ont trouvé le
même écho chez le peuple ulu-ainien que chez le peu-
ple russe, c'est une erreur profonde, et l'aflii'mer, tout
simplement une calomnie monstrueuse.
120 LliS LKUAIMENS
Tout d'abord on peut dire que, d'une manière gé-
nérale, le Holchevisnie reerute ses j)artisans, non dans
les classes j)aysannes, mais dans la classe ouvrière,
non dans les campagnes, mais dans les villes. Or, le
peu])le Ukrainien, personne ne l'ignore, est un peuple
essentiellement agricole, 85 0/0 de sa population,
c'est-à-dire 32.500.000 indi\àdus, s'occupent des tra-
vaux des champs et vivent à la campagne. Le pourcen-
tage de la population urbaine est toujours en défaveur
des l'krainiens, et cela par suite de la conduite du gou-
vernement centralisateur de Moscou, qui a toujours
empêché le développement industriel des nationalités
englobées dans l'Empire russe et peuplé les villes
d'une armée de fonctionnaires et d'une légion de com-
merçants envoyés de Petrograd et de Moscou. En
Ukraine, la presque totalité des ouvriers est étrangère
au peuple ukrainien.
C'est ce fait qui a permis aux adversaires des
Ukrainiens de conclure, sur le seul pourcentage de la
population urbaine, que le peuple ukrainien n'avait
pas la majorité en Ukraine.
Or, du fait que seuls les ouvriers se sont, au début,
enrôlés dans l'armée bolchevique, que d'autre part,
les Ukrainiens sont surtout agriculteurs, il en résulte
que ceux que l'on appelle bolcheviks ukrainiens sont
en réalité des Bolche\iks étrangers à l'Ukraine.
Si au mois de février 1918, il s'est trouvé quelques
Ukrainiens à accepter les théories maximalistes, c'est
L'UKRAINE ET LE BOLCHEVISME 121
parce que la démobilisation de l'armée, faite brusque-
ment et sans arrêt, a jeté sur le pavé bon nombre de
démobilisés, qui, se trouvant sans travail et sans ar-
gent, ont été heureux d'obtenir dans les rangs bolclie-
vistes un emploi peu absorbant et bien rémunéré.
D'autre part, fatigués par trois années d'une guerre
terribles au cours desquelles ils avaient été privés de
tout, même d'armes et de munitions, les soldats reve-
nant des tranchées ne pouvaient être que très sensibles
à la devise bolchevique : « Tout à tous », si pleine
d'alléchantes promesses.
Ces Ukrainiens, néanmoins, se sont vite ressaisis,
quand ils ont vu de près ceux qu'ils avaient pris pour
des amis.
Lorsque les Bolcheviks russes ont quitté, en mars
1918, le territoire de l'Ukraine, il n'est pas resté
en fait de bolcheviks que les ouvriers étrangers, les-
quels, d'ailleurs, ont remis à plus tard la manifestation
de leurs théories. Quant au paysan ukrainien, ayant
plus que partout ailleurs le respect de la propriété
individuelle, il a tout de suite compris que la terre qui
lui avait été donnée sans bourse délier, et que quel-
quefois, entraîné par des meneurs, il avait enlevée à
son légitime propriétaire, de lui-même, il l'u rendue
avec tous les instruments aratoires détenus par lui.
Contrairement au paysan russe, le paysan ukrainien
ne se considère et ne se considérera jamais proprié-
taire d'une terre qui ne lui a pas été livrée par-devant
122 LES UKRAINIENS
notaire contre espèces sonnantes, par un acte dont il
restera le délenleiw.
Au début de li)19, <|uelques Ukrainiens se sont
joints aux trou])es bolcheviques, mais il faut avouer
que l'Entente avait mis entre les mains des liolcheviks
russes une arme puissante pour répandre leurs théo-
ries parmi les paysans ukrainiens.
Les Français et les Grecs venaient de débarquer à
Odessa dans le but d'appuyer les volontaires de
Denikine. Quoi de plus facile aux agents bolche-
viques répandus dans toutes les campagnes que
de persuader aux paysans que ces étrangers ve-
naient en Ukraine pour y recommencer les dépré-
dations et les brigandages des Allemands, pour y
détruire les libertés ukrainiennes, au profit de Sko-
ropadsky ou de Denikine, c'est-à-dire du tsarisme
tant abhorré. Seule une lutte dans les rangs des Bol-
cheviks pouvait faire triompher la cause ukrainienne.
Petlioura représenté sous des couleurs si sombres
et même parfois comme l'allié de Lénine et de Bela-
Khun, eut à combattre jusqu'au sein du Directoire
l'idée que la République française venait renverser la
République ukrainienne au profit de l'Empire russe
et de la République polonaise.
Les paysans revinrent bien vite d'eux-mêmes à
d'autres sentiments, quand ils s'aperçurent que
les Bolcheviks russes, accompagnés de mercenaires
chinois, n'étaient venus dans les villages ukrainiens
L'UKRAINE ET L'aLLEMAGNE 123
que pour ràller leur bétail, voler leur céréales, en-
tasser tout ce qui était tran-sportable dans des trains
qui prenaient immédiatement la route de la Rus-
sie. Petlioura vit alors son étoile reprendre tout son
éclat, et s'enrôler sous ses drapeaux le peuple tout
entier. La révolte des paysans eut lieu sur tout le terri-
toire ukrainien. A l'heure actuelle, l'idée holche-
viste n'a que des ennemis en Ukraine, et tout est mis
en œuvre pour chasser du teniioire le Russe qui l'y a
apportée.
L'Ukraine n est pas l'instrument de l'Allemagne
L'argument le plus impressionnant pour nous
Français, et dont les adversaires de l'Ukraine et des
Ukrainiens usent et abusent, c'est de montrer dans le
mouvement séparatiste ukrainien une intrigue austro-
allemande et un article made in Germany.
L'incursion que j'ai essayé de faire dans l'histoire
de l'Ukraine prouve assez qu'il n'en est rien et (jue la
politique brutale du régime tsariste dans les deux
Ukraines russe et autrichienne a donné beau jeu aux
Austro-Allemands dont l'intérêt était de favoriser
tout mouvement qui créerait des difficultés à leurs en-
nemis? La Ligue pour la Libération de r Ukraine que
l'on attribue aux Ukrainiens séparatistes et dont on
leur fait un crime n'a pas d'autre origine. D'ailleurs, le
124 Li:S l KRAINIENS
rôle de cette Ligue ne dilîère nullement de celui du
Conseil National Suprême (N. K. N.) de Pologne, qui a
établi des bureaux germanophiles à Vienne, Berlin,
Stockholm, Raperswil et Berne, et qui a publié pen-
dant toute la guerre des revues de pro])agunde en alle-
mand telles que Polen à Vienne et les Polnische Blât-
ter à Berlin.
Or, de même que personne ne songe à incriminer la
République polonaise, — l'auteur de ces lignes moins
que tout autre, — du fait de la création par les Aus-
tro-Allemands du Conseil National Suprême de Polo-
gne dont toute l'activité pendant quatre années a été
dirigée contre l'Entente, il semble souverainement in-
juste d'incriminer la République ukrainienne et de
voir en elle un article made in Gcrmany parce que
l'Autriche et l'Allemagne ont créé à Vienne une Ligue
pour la libération de l'Ukraine, dans le même but
qu'elles ont créé le Conseil National Suprême de Polo-
gne, c'est-à-dire susciter des difficultés à un membre
de l'Entente.
Le second fait invoqué par les adversaires de l'U-
kraine pour démontrer qu'elle est germanophile, la
fondation à Lausanne d'un Bureau d'Information
ukrainien, ne paraît pas plus fondé.
Les chefs les plus qualifiés du mouvement ukrai-
nien : Grouchevski qui a été professeur à l'Ecole libre
des Sciences sociales à Paris, avant d'enseigner l'his-
toire à l'Université de Lemberg et Vinnitchenko, qui a
L'UKRAINE ET L'aLLEMAGNE 125
vécu, lui aussi, en qualité d'émigré politique, à Paris,
où il fonda, en 1908, le Cercle des Ukrainiens de Pa-
ris, ont désavoué de la façon la plus formelle la pro-
pagande des agitateurs sans mandat comme Skoropis-
loltoukhovski et Stepankovski, directeur du Bureau
d'information ukrainien de Lausanne, et leur repro-
chent de faire le jeu de l'Allemagne par leurs déclara-
tions en faveur de l'indépendance absolue.
Dans le numéro du 1" novembre 1917, du Journal
de Russie, paraissant à Petrograd, Grouchevski écrit:
« Malgré ses tentatives réitérées pour entrer en rela-
tions avec le gouvernement de Kiev en arguant de son
titre de président de la Ligue et de mandats qu'il
tient des prisonniers de guerre ukrainiens, Skoro-
pis-Ioltoukhovski a toujours été éconduit ». Vinnit-
chenko n'est pas moins formel. « Tout le monde sait,
écrit-il, que la Ligue pour la libération de l'Ukraine
est un instrument de propagande allemande. Mais
ici, en Ukraine, personne n'a jamais attaché la
moindre importance à cette organisation austro-alle-
mande. On ne peut nous rendre responsables de ce
que publie à Stockholm, à Berne et à Lausanne, Ste-
pankovski. La germanophilie n'a pas de racines cliez
nous. Il y a à Kiev beaucoup moins de partisans de
l'Allemagne qu'à Petrograd ».
Reste la troisième accusation : la signature de la
Paix de Brest-Litovsk par le Secrétariat Général de
l'Ukraine.
120 LES IKFt.MNIENS
Comme tout Français, je fus indigné en apprenant
la signature de ce traité, car je pensais que de ce fait»
des millions d'Allemands devenaient libres et allaient
être jetés dans la ruée sur Paris. Comme tout le
monde, je criais à la trahison. Depuis, j'ai vu des évé-
nements que je ne prévoyais pas alors et j'ai connu
des faits que j'ignorais. J'ai longtemps réiléchi. La
conclusion qui s'est imposée à moi comme elle s'est
imposée et s'imposera à tout esprit impartial, c'est
que les Ul^rainiens ne sont pas aussi coupables qu'ils
le paraissent à première vue et que leurs adversaires
voudraient les représenter.
D'abord est-il bien vrai que la signature du traité
de Brest-Litovsk a rendu libres, pour être envo} es sur
le front français, un si grand nombre de soldats enne-
mis? Au risque de m'attirer les foudres des adversai-
res de l'Ukraine qui agitent si souvent cet argument
si impressionnant pour nous. Français, qui avons tant
tremblé pour Paris pendant l'offensive allemande de
la Somme, c'est une légende qu'il me faut détruire.
D'après des officiers français qui ont séjourné dans
plusieurs secteurs du front russe, de septembre 1917
à janvier 1918, les Allemands n'avaient presque per-
sonne dans leurs tranchées : çà et là quelque canons
en bois et des silhouettes humaines en carton et c'était
tout.
Ailleurs, le front était ouvert, le bétail allemand
venait paître dans les lignes russes et les soldats rus-
L'UKRAINE ET L'aLLEMAGNE 127
ses allaient fraterniser, boire et s'amuser dans les
lignes allemandes avec les quelques kamarades, tou-
jours des vieillards et des infirmes, préposés à la gar-
de du matériel.
La signature du traité de Brest-Litovsk par les
Ukrainiens n'a pas plus augmenté le nombre des sol-
dats allemands sur le front français que le refus
momentané de Trotsky, la rupture de l'armistice
par les Allemands et leur avance en Russie ne l'ont
diminué. Les hostilités sur le front russe avaient défi-
nitivement pris fin le jour de la prise de Riga et de
Tarnopol, et depuis cette époque, les Austro-Alle-
mands avaient toute la liberté de leurs mouvements.
Il est vrai que le traité de Brest-Litovsk exigeait le
renvoi immédiat dans leurs pays des prisonniers alle-
mands et autrichiens.
Or, les prisonniers retenus en Ukraine étaient pour
la plus grande majorité des déserteurs de l'armée aus-
tro-allemande : des Alsaciens, des Polonais, des Tché-
co-Slovaques, des Slaves de l'Autriche méridionale,
des Irrédentistes italiens et des Roumains. Le gouver-
nement ukrainien, successeur à Kiev du gouverne-
ment russe, prêta son concours le plus bienveillant au
rapatriement en France des Alsaciens-Lorrains qui
étaient tous cantonnés à Darnitza, dès leur arrivée du
front; en Roumanie, des Transylvains ramenés des
mines où ils travaillaient, à Kiev où des officiers
de l'armée roumaine et des officiers Transylvains
128 LES UKRAINIENS
de l'arinéc austro-hongroise les équipaient, les en-
traînaient, avant de les dirii^er sur le front rou-
main ; el, en Italie, des Irrédentistes (jui en fai-
saient la demande. Quant aux Tehéeo-SioviKiues,
aux Polonais et aux Slaves de l'Autriche méridio-
nale et de la Hongrie, personne ne peut ignorer
que c'est sur le sol ukrainien qu'ils ont formé et en-
traîné leurs légions et que le gouvernement ukrainien
leur a continué la sympathie accordée par le gouver-
nement russe. Il fut même conclu entre le gouverne-
ment ukrainien et M. Massaryk, ministre des Afïaires
étrangères tchéco-slovaque, un accord militaire pour
favoriser la formation et l'entraînement des légions
tchéco-slovaques sur le territoire ukrainien.
Si du chiffre des prisonniers austro-allemands l'on
défalque le nombre de ces déserteurs qui s'en sont
allés combattre sur le sol de leur vraie patrie, grâce
à l'obligeance du gouvernement ukrainien, il n'en
reste pas un grand nombre à envoyer sur le front
français. Or, malgré la pression faite par les komman-
danturs allemande et austro-hongroise installées
à Kiev dès l'occupation de l'Ukraine par les Alle-
mands, malgré leurs menaces de peines sévères et
même de mort, affichées périodiquement jusqu'au
jour de l'armistice, sur les murs de Kiev, dans toutes
les villes et dans tous les villages de l'Ukraine, ils fu-
rent peu nombreux, les prisonniers allemands et au-
trichiens, qui consentirent à quitter les occupations
L'UKRAINE ET L'ALLEMAGNE 129
qui les enrichissaient pour aller sur le front français,
dont ils parlaient en tremblant ou dans les casernes
allemandes ou autrichiennes « où l'on était battu et où
l'on mourrait de faim ». Et ceux que la menace avait
intimidés et qui s'étaient rendus à la kommandatur
pour être expédiés dans les dépôts partirent, pour le
plus grand nombre, avec l'intention formellement ar-
rêtée de se rendre, les Austro-Hongrois aux Italiens,
les Allemands aux Français. D'ailleurs, les faits ont
démontré que cette intention a été unanimement exé-
cutée.
L'argument d'une augmentation d'effectifs alle-
mands sur le front français pendant la bataille de la
Somme du fait de la signature du traité de Brest-
Litovsk par les Ukrainiens, examiné avec impartia-
lité et en connaissance de cause, devient, dès lors,
beaucoup moins impressionnant.
Reste le fait lui-même. D'abord il ne faut i)as per-
dre de vue que les principaux leaders du peuple
ukrainien, Petlioura en tête, donnèrent leur démission
pour ne pas signer le traité et garder leur liberté con-
tre les Allemands; d'autre part, plusieurs partis poli-
tiques parmi lesquels le parti « Jeune-Ukrainien >•
n'ont jamais reconnu le traité de Brest-Litovsk. La si-
gnature de ce traité n'est donc le fait que de quelques
hommes politiques.
Evidemment, même peu nombreux, ces repré-
sentants du peuple ukrainien ne sont pas à ap-
13U J,i:S UKRAINIENS
prouver ri il icslc Imciî certain qu'à peine avaient-
ils apposé leur signature au bas de ce pacte infâme,
auquel d'ailleurs BrockdorfT, dans ses contre-pro-
l)ositions de la paix de Versailles fait allusion
pour le critiquer et le déplorer, ils le regrettèrent
amèrement.
D'ailleurs pour se racheter et se faire supporter par
les vrais Ukrainiens, à peine de retour à Kiev, ils se
mirent à fomenter dans le peuple des insurrections
locales qui obligèrent les Allemands à porter le chiffre
de l'armée d'occupation de 40.000, cliilïre prévu par le
traité de Brest-Litovsk, à 600.000 soldats.
Mais auraient-ils pu ne pas aller à Brest-Litovsk?
Les Puissances de l'Entente, soit par indifférence
pour les questions qui ne regardaient pas directement
les opérations militaires en cours, soit plutôt pour ne
pas déplaire au gouvernement de Petrograd, avaient
semblé tout d'abord ignorer ce qui se passait en
Ukraine. Les Sasonov pas plus que les Milioukov
iVâvaient jugé d'ailleurs à propos de leur -en parler.
Mais les événements furent les plus forts et les Alliés
durent bien se rendre compte que la voix du peuple
ukrainien devenait haute et impérieuse.
Dénoncé comme intrigue allemande, le mouvement
ukrainien semble avoir été l'objet d'une enquête qui
lui fut favorable sans doute, puisque le Secrétariat
Général Ukrainien vit peu à peu des relations, d'abord
officieuses, puis officielles, s'établir entre lui et les
L'UKRAINE ET l'aLLEMAGNE 131
représentants de la France, de l'Angleterre, de la Rou-
manie et de la Serbie.
Dès le début de ces relations, le Secrétariat Géné-
ral; avec une franchise que personne ne veut lui re-
connaître, mais qui n'en existe pas moins, montra que
sa volonté ferme était de rester fidèle à ses engage-
ments envers l'Entente, mais que le Gouvernement
Provisoire, d'ailleurs appuyé par les Alliés, l'ayant
empêché de former une armée nationale, il lui sem-
blait impossible de rester (à hauteur de sa tâche. A
cette époque déjà, l'armée des Soviets, à l'instigation
de son véritable maître, l'Etat-Major de Ludendorff,se
mettait en marche contre l'Ukraine. Le général T,,.,
alors commissaire du gouvernement français près le
gouvernement ukrainien, se contenta de maudire
les Bolcheviks et le Gouvernement provisoire.
Les événements se précipitaient : au Nord, la fra-
ternisation avec l'ennemi avait commencé, Krylenko
était en pourparlers avec l'Etat-Major allemand,
Tcherbatcheff prévenait les Austro-Allemands que lui
aussi, était prêt à causer. Qu'allait faire l'Ukraine?
Sans doute, si la nouvelle République avait eu une
existence nationale indépendante de plus longue du-
rée, ;si les Alliés l'avaient tenue en une moindre sus-
picion et lui avaient fait comprendre, avec toute leur
expérience des opérations militaires, que, délivrée des
Austro-Allemands par un traité de paix prématuré,
elle aurait encore des forces trop insuffisantes pour
132 LES UKRAINIENS
résister à toute la ])oussée bolcheviste qui s'avançait
(lu Nord et de l'Est, elle aurait certainement obéi à la
suggestion qui lui était faite : suivre l'exemple de la
Belgique, de la Serbie et de la Roumanie et attendre
que justice lui soit rendue par la Conférence de la
Paix. Mais à peine né à la vie nationale irwlépen-
dante et recevoir un conseil dont l'exécution va avoir
pour résultat immédiat la ruine d'un pays inviolé
sous le régime précédent et la disparition d'un gou-
vernement encore mal assis, mais toutefois existant
et cela sans recevoir en échange d'autres garanties
qu'une vague promesse de reconnaissance au moment
de la signature de la Paix, il faut avouer qu'il y avait
là pour le Secrétariat général matière à réflexion.
Or, le temps manquait.
Le 28 décembre, les Bolcheviks déclarent la guerre
à l'Ukraine et lancent un appel aux prolétaires ukrai-
niens, les invitant à renverser la Rada « capitaliste et
bourgeoise » ; le Soviet de Kharkov essaye de se substi-
tuer à la Rada de Kiev. Celle-ci perd la tète. Le 10
janvier, une délégation ukrainienne part pour Brest-
Litovsk. Un mois plus tard, le 9 février, un traité en
bonne et due forme mettait fin aux hostilités entre
les Allemands, les Austro-Hongrois, les Bulgares et
les Turcs, d'une part, et l'Ukraine, d'autre part.
La République ukrainienne a trop souffert de la si-
gnature de ce pacte pour ne pas s'en repentir amè-
rement. Mais est-elle la seule coupable? Ne pourrait^
L'UKRAINE ET l'ALLEMAGNE 133
on pas plaider pour elle les circonstances atténuan-
tes? L'histoire seule pourra un jour nous dire si les
Puissances de l'Entente, ou du moins leurs Représen-
tanls près le gouvernonent ukrainien, n'ont pas à en-
dosser quelques-unes des responsabilités attribuées
en ce moment à la seule Ukraine.
CONCLUSION
Le moment est venu pour les Puissances de l'En-
tente et tout particulièrement pour la France, de pren-
dre une attitude vis-à-vis de la République ukrai^
nienne. Il serait désastreux de continuer à lui jeter
l'anathème et à l'abandonner, brebis docile, à l'in^
fluence 4e l'Allemagne qui aura vite fait, profitant de
nos fautes, de l'accaparer à son profit et de la trans-
former en quelque colonie d'exploitation.
L'Ukraine vivra-t-elle dans une indépendance com-
plète, formera-t-el-le une fédération avec les Etats du
Sud ou fera-t-ellc partie de la grande fédération des
peuples de l'ancienne Russie, c'est une question que
l'Ukraine seule doit résoudre, car mieux que person-
ne, elle connaît les besoins et les aspirations de son
peuple. Actuellement, elle veut, comme la Pologne, la
Finlande et la Lettonie, réunir tous ses fils sous un
même drapeau et les faire vivre libres et indépen-
dants. La France, cette grande protectrice des na-
tith»»"'"
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138 LES UKRAINIKNS
lions faibles el opprimées, voit se tciidre vers elle les
bras de tout le peuple ukrainien. Il n'est pas possihU
à la France qui a travaillé à l'indépendance de l'Amé-
rique, de la Belgique, de la Grèce, de la Prusse, de la
Roumanie, de la Serbie, de la Turquie et de la Tchéco-
slovaquie et à la résurrection de la Pologne, de ne pas
prêter une oreille favorable à la prière du peuple
ukrainien, quitte à prendre, comme pour la Pologne
et les autres nouveaux Etats, des mesures qui garan-
tiront l'avenir.
D'autre part, les aspirations nationales des Ukrai-
niens et leur résolution de vivre désormais unis, pré-
sentent un tel intérêt (qu'elles doivent être sérieuse-
ment examinées, non seulement par les diplomates
réunis à la Conférence de Paris, mais aussi par tous
ceux qui ont à cœur de voir naître dans le monde une
paix juste, Téelle et durable. Les résolutions qui se-
ront données à ces aspirations influeront incontesta-
blement sur les rapports des Etats dans l'Europe de
demain, car, les tem,ps sont passés où les diplomates
pouvaient, suivant leur bon plaisir et suivant les am-
bitions impérialistes de leurs pays respectifs, imposer
aux peuples d'Europe des régimes qui ne répondaient
pas à leurs aspirations.
Or, les Ukrainiens du xx' siècle ,ne consentiront ja-
mais à rester ce qu'ils étaient avant la Révolution
russe ni à devenir autre chose que des Ukrainiens.
Frères des Français par leur conception de la Révo-
CONCLUSION 139
lution, ils veulent travailler au rafifermissement de
leurs libertés et à leur propre bien-être, avec le con-
cours et souis Les inspirations des seuls Français. Aux
Français de savoir mettre à profit les sympathies qui
leur sont témoignées et la confiance qui leur est faite.
TABLE DES MATIERES
AVANT-PROPOS
PREMIERE PARTIE
Mon séjour en Ukraine
Mon arrivée à Kiev 1
Kiev avant la Révolution 3
La Révolution russe à Kiev 5
Le mouvement nationaliste ukrainien 7
Démêlés de la Rada avec le Gouvernement pro-
visoire 9
Visites de Français à Kiev 10
L'offensive de Galicie 13
Reprise des pourparlers entre Kiev et Pétrograd 14
Le coup d'Etat des Bolcheviks 16
Emeute sanglante à Kiev 18
Proclamation de la République ukrainienne ... 20
L'Ukraine veut rester fidèle à l'Entente 21
Ultimatum du Gouvernement des Soviets russes 25
Succès des troupes bolchevistes en Ukraine ... 27
Seconde émeute à Kiev 27
Prise de Kiev par les Bolcheviks 29
Kiev sous le régime des Soviets 31
142 TAHLi: iJi:s .matii:mks
Kiev évacuée par les Bolcheviks 'VA
Coup d'Elat des Allemands .'J5
Le Gouvernement du Hetman Skoropadsky ... 30
Petlioura 44
Skoropadsky et l'Entente 46
Encerclement de Kiev par l'armée de Petlioura 49
Prise de Kiev par Petlioura 52
Le Directoire et les représentants de l'Entente 53
Mon retour en France 57
DEUXIEME PARTIE
L'Ukraine
Frontières .... 60
Orographie 60
Hydrographie 63
Villes principales 66
Climat 67
Importance de l'Ukraine 68
Productions du sol 69
Richesses du sous-sol 74
Chasse et pêche 77
Industrie 78
Commerce extérieur = 81
Littérature S4
Poésie épique ^ 85
Poésie lyrique 86
Poésie satirique 88
Fables 89
TABLE DES MATIERES 143
Théâtre 90
Roman et nouvelle 92
Histoire 95
TROISIEME PARTIE
Les Ukrainiens
Le terme « Ukraine » 100
Le peuple ukrainien diffère des autres Slaves. . 101
L'Ukraine est une nation 104
L'armée ukrainienne 111
Le peuple ukrainien veut vivre indépendant. . 114
Le peuple ukrainien a gardé le sentiment
national 116
L'Ukraine n'est pas bolcheviste 119
L'Ukraine n'est pas l'instrument de l'Allemagne 123
Conclusion 135
Carte de l'Ukraine 136-137
Table des matières 141
Imp. Lano, Bi.anchonh et C'". 7, rue Rochechouart, Paris.
0
BINDING SECT. JUL 4 «Sg?
DK Dubreuil, Charles
503 Deux années en Ukraine
D8 (1917-1919)
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY